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qu’elle se rajeunira. Au-delà comme en-deçà du Rhin, les idées que j’exprime comptent déjà de nombreux défenseurs. Chez nous cependant comme en Allemagne, elles sont combattues par un groupe de peintres qui se disent catholiques par excellence, et ne voient dans les maîtres florentins et romains que des païens, c’est-à-dire qu’ils préfèrent le vagissement à la parole, l’art naissant à l’art adulte, à l’art viril. Nous avons vu ce que vaut cette affirmation traduite en œuvres. Nous avons vu sur les murs de nos églises ce que nos peintres catholiques avaient gagné dans le commerce exclusif de Giotto et de Fra Giovanni. L’école allemande va nous dire si cette prédilection obstinée pour le moyen âge a été pour elle plus féconde que pour la France. Pour ma part, je crois que l’épreuve pourra se renouveler dans toutes les parties de l’Europe sans rien changer aux termes de la question. Chercher dans l’archaïsme une source de puissance, un moyen de persuasion, est une tentative qui doit toujours aboutir à la déception. La France le sait déjà, l’école catholique allemande sera forcée de le reconnaître.

Si l’Allemagne ne tient pas le premier rang en Europe pour la culture des arts, elle nous offre du moins un curieux sujet d’étude par la sincérité de ses convictions. Dans ce pays, qui peut s’appeler la patrie de la pensée, où la pensée enivre l’âme et lui fait oublier l’action, toute théorie, une fois acceptée dans le domaine esthétique, est poussée jusqu’à ses dernières conséquences. Si la théorie est vraie, si elle est appliquée par des esprits puissans, la part de vérité qu’elle renferme ne tarde pas à se manifester. Si elle est fausse, l’épreuve n’est ni moins rapide ni moins décisive. A défaut d’esprits puissans, la théorie trouve des esprits résolus, chez qui la volonté remplace l’invention, et qui se chargent de mettre à nu les vices de l’idée nouvelle. Les beaux esprits de nos salons prennent en pitié ou raillent les théories allemandes. Pour ma part, je suis loin de m’associer à leur dédain et à leurs moqueries. Un rôle particulier est dévolu à chaque nation, l’étude de l’histoire est là pour le démontrer. On aura beau abréger les distances et multiplier les relations par l’application de la vapeur, on ne changera pas la destinée individuelle des races. Or, si nous consultons le passé et surtout la seconde moitié du siècle dernier, nous voyons que la destinée de la race germanique est d’aimer la pensée pour elle-même, et de se complaire dans la vie pure de l’intelligence, au point d’oublier les souffrances et les misères de la vie réelle. Quand les hommes, grâce au perfectionnement des machines Crampton, seront arrivés à se déplacer aussi vite que les hirondelles, le nombre des idées confuses s’accroîtra sans nul doute, mais le rôle des nations n’aura pas changé; l’Allemagne, malgré les rails qui la sillonneront en tous sens,