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indien, le malais, le javanais. Dans les ports de mer, parmi les bois et les épices, on sent pour ainsi dire l’odeur de cet autre monde. Là est en quelque sorte la poésie du commerce. Pour conserver ces possessions lointaines, il fallait améliorer la condition des vaincus en transformant leur territoire par l’agriculture et le travail. La Hollande, grâce à la nature de ses idées pratiques, avait le secret de coloniser. Elle sut ainsi non-seulement étendre ses conquêtes, mais les garder. Puis, ce que ce peuple industrieux n’avait pas, il se le donna. On avait coutume de dire autrefois que la Norvège était la forêt de la Hollande, les bords du Rhin et ceux de la Garonne ses vignobles, la Poméranie et la Prusse ses champs, les Indes et l’Arabie ses jardins. Une nation forte contre la nature devait être forte contre les autres nations. Les rapports que le fer ne lui ouvrait pas, elle les établissait par des traités, par des alliances.

L’influence du sol néerlandais sur la forme intérieure du gouvernement, sur les conquêtes, sur les relations internationales, a été considérable: mais cette influence semblera plus grande encore, si, quittant les généralités de l’histoire, nous-descendons dans la vie privée. Les conditions géographiques ont été ici la racine des mœurs. C’est un nouveau point de vue qui ne manque point d’intérêt, car l’originalité des peuples résulte surtout de leurs habitudes domestiques.


III.

Il y a en Hollande une vie qu’on ne connaît point ailleurs ou du moins qu’on connaît mal, c’est la vie sur l’eau. Il faut venir ici pour comprendre la douce mélancolie du spiritus Dei ferebatur super aquas. Ce qui flotte sur les eaux toutefois, c’est moins peut-être l’esprit de Dieu que l’esprit de l’homme, car dans les Pays-Bas on est sans cesse ramené au sentiment de la réalité. Dans tous les endroits où la nature avait oublié de mettre des fleuves ou des rivières, l’industrie hollandaise a fait des canaux. Ces chemins d’eau conduisent non-seulement d’une ville à une autre, mais même à chaque village et presque à chaque maison de campagne. Un système artériel si riche ne pouvait manquer d’être merveilleusement favorable à la circulation des produits. Dans la seule ville de Harlem, il passe vingt-deux mille bateaux par an. Un voyageur anglais se demandait, il y a deux siècles, s’il n’y avait pas en Hollande plus de monde vivant sur l’eau que sur la terre. Comme la plupart de ces canaux sont plus élevés que les champs voisins, et comme ils sont masqués par des digues, à une certaine distance on ne voit ni l’eau ni les barques, on n’aperçoit que les voiles qui se gonflent. Ces voiles blanches ou rouges ont ainsi l’air de se promener dans la campagne. Il y a des bateaux