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dissipées par le même souffle créateur. Le protestantisme est ami des lumières : il croit n’avoir rien à craindre de la discussion. C’était d’ailleurs la seule religion qui pût convenir à la Hollande, et cela par des raisons géographiques. Dans les pays favorisés de la nature, on a presque fait de la paresse un dogme de foi; c’est comme une impiété de redresser le cours des fleuves, d’arracher le mystère aux forêts, de disputer avec les eaux. De quel droit l’homme tiendrait-il conseil contre l’ordre de la création et se permettrait-il d’en changer les lois? Aurait-il par hasard l’audace d’en remontrer à Dieu? Dans les religions absolues, ce n’est pas seulement la raison humaine qui se trouve liée par le dogme, c’est aussi l’action. Le dernier mot des doctrines romaines, quoique désavoué par Rome, a été dit par Fénelon : c’est le quiétisme. L’immobilité de l’homme en Dieu, le respect pour l’ordre, quel qu’il soit, des choses créées, la doctrine du laissez faire appliqué à la nature, tout cela pouvait encore se soutenir dans des pays où la terre travaille pour l’homme qui se repose; mais en Hollande ce système n’était nullement admissible. Si l’homme eût laissé faire, les eaux auraient chassé la civilisation. La Hollande ne fut jamais catholique, à ce point de vue du moins; elle a toujours protesté contre certaines lois de l’univers qui mettaient en question son existence. La race néerlandaise, quoique sincèrement et profondément religieuse, met sa foi dans le travail et dans la lutte contre la matière. Elle a pris au sérieux ces mots de la Bible : « Tu domineras la terre! » Dieu, dit-elle, s’étant reposé sur l’homme du soin d’achever et de perfectionner l’œuvre des six jours, la création humaine est un reflet de la création divine qu’elle continue. Cette réaction du moi, cette protestation de la volonté humaine contre la force sacrée des élémens, tout cela mettait la Hollande sur la voie d’une révolution religieuse. Lorsque la réformation parut, le protestantisme se greffa sur les instincts actifs de la race batave comme sur les forces économiques des autres nations saxonnes. Les races latines ou catholiques sont artistes; les races protestantes sont industrielles, agricoles et commerçantes.

La Hollande, presque entièrement environnée d’eau, isolée de l’Europe par sa langue, assise et comme oubliée à l’une des extrémités du continent, était en quelque sorte prédestinée par la nature à être un lieu d’asile pour toutes les victimes des persécutions religieuses et politiques. Dans ce pays dont l’existence était sans cesse menacée, la tolérance se développa, entée sur la douceur des mœurs, sur le besoin de s’entr’aider, sur la crainte des dangers communs. La Hollande, au milieu du déluge de sang qui couvrit le monde vers la fin du XVIe siècle, fut l’arche de salut. Là, tous ceux que la mère-patrie avait rejetés retrouvaient des temples, un foyer et certains droits civils. Le philosophe doit vénérer cette terre, qui a reçu les pas de