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II.

Si cette pensée est vraie : « les peuples ont toujours le gouvernement qu’ils méritent, » nous devons retrouver dans les institutions civiles, politiques et religieuses de la Hollande quelques traits de son génie national.

A toutes les époques de l’histoire, il a existé un rapport entre la constitution du sol et la forme gouvernementale des Pays-Bas. Les premières institutions dont on retrouve la trace en Hollande ont été des institutions de défense mutuelle contre les fleuves et la mer. La parité des dangers a été le lien de la société néerlandaise. Ici on a pratiqué de bonne heure la maxime du fabuliste : Il se faut entr’aider. Cette loi de la nature était en Hollande un besoin de la conquête du sol. De ce besoin suprême, de la réunion des forces, de l’agglomération des travailleurs sur des travaux dont ils partageaient ensemble les résultats, l’association a dû naître. Une fois le sol sauvé et maintenu, du travail en commun sortit une administration commune. La liberté d’élection existait dès le commencement dans les polders. Quelques nations de l’Europe ont précédé la Hollande dans l’établissement des communes; mais nulle part le génie municipal n’a jeté de plus profondes racines dans les mœurs, nulle part non plus les communes ne se sont élevées à un pareil degré de richesse et d’influence politique. La puissance des métiers était considérable, celle des nobles isolée et restreinte. Dans les conseils de la Hollande, c’était le pouvoir de la classe moyenne qui dominait. Aujourd’hui encore le vieil esprit municipal persiste tout entier sous la forme monarchique. Ici chaque ville a, si l’on ose ainsi dire, une personnalité. Dans ce petit pays fragmenté, déchiré çà et là par la mer, coupé par des fleuves, des canaux et des lacs, distribué en plusieurs groupes d’intérêts par la nature même du système hydraulique, la centralisation politique devait avoir plus de peine à s’établir que dans les pays dont le territoire est homogène. La république française de 94, une et indivisible, rencontra dans le fédéralisme des Provinces-Unies, dans l’autonomie des communes, dans les usages particuliers des districts, en un mot dans le génie de la république batave, une force latente qui repoussait partout sa main. La même lutte se continua sous l’empire, et avec encore moins de succès. Ce que demande la Hollande, c’est la liberté des forces et des institutions locales sous une administration commune.

Le sentiment de la liberté chez un peuple est une conséquence de sa lutte avec la nature. Il faut que les sociétés s’affranchissent des forces physiques de l’univers avant de s’élever à l’indépendance politique et morale. Sous ce rapport, la Hollande se trouvait placée