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que la France eût à se créer une marine ; à élever son commerce, à rétablir son agriculture, à fonder des colonies, à développer son génie dans les sciences et dans les lettres[1], à cultiver enfin tant d’intérêts vitaux pour l’intelligence et pour la grandeur nationales, auxquels son prédécesseur n’avait pas consacré moins de soins qu’aux plus délicates transactions diplomatiques.

Cette partie du gouvernement de Mazarin fut, à bien dire, stérile ; il semblait n’en pas même soupçonner l’existence. Exclusivement préoccupé des négociations avec les cabinets étrangers et plus encore des négociations ouvertes avec ses adversaires personnels, il n’avait de temps à donner ni aux réformes législatives qui servent les intérêts, ni aux réformes administratives qui développent la richesse. Distribuer des faveurs, des abbayes et des pensions, tel fut le souci principal de l’homme qui tenait sa mission pour accomplie depuis qu’il avait triomphé. C’est à peine si l’on trouve durant ces années calmes et vides quelques traces de l’initiative du ministre. Celle-ci n’apparaît avec quelque vivacité que dans sa persévérance à provoquer l’exécution de la bulle pontificale rendue contre les cinq propositions de Jansénius. Mazarin fit contre les jansénistes des efforts presque passionnés, qui contrastent avec ses choix épiscopaux trop souvent cyniques, et surtout avec ses antipathies bien connues contre la cour romaine. Toutefois il était en ceci très conséquent avec lui-même, car l’une de ses appréhensions les plus vives était de voir un jour l’opposition politique renaître sous le couvert de l’opposition religieuse.


II

Des discussions délicates avec les Suisses et les Hollandais, une négociation beaucoup plus importante avec Cromwell, remplirent les années dont je viens de signaler la stérilité sous le rapport administratif, et Mazarin déploya, comme il le faisait toujours en pareille matière, les éminentes qualités de son esprit. Les Suisses menaçaient de ne pas renouveler leurs capitulations, car on leur devait des sommes considérables que le trésor épuisé était dans l’impossibilité de leur payer, et l’on disait déjà : Point d’argent, point de Suisses. « Le cardinal, dit un de ses négociateurs, aurait bien voulu les satisfaire, mais sans argent, car il regardait les trésors du roi comme lui appartenant, et il ne pouvait se résoudre à les dépenser, quelque

  1. Il ne faudrait point opposer à ce jugement la création du collège des Quatre-Nations et le don de la bibliothèque Mazarine, que le cardinal n’opéra que par dispositions testamentaires.