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réunis dans la compilation de l’abbé Gerbeit, Scriptores ecclesiastici de Musicâ sacrâ, qui est de l’année 1784 ; l’Histoire de la musique du père Martini, celle de Burney, que l’abbé Zamaria avait connu personnellement, V Histoire de Hawkins et le premier volume de celle de Forkel, qui parut en 1788, occupaient le premier rayon. Le second était rempli par les théoriciens pratiques Vanneo, Zarlino, Tartini, le père Martini (Saggio di controppunto), et une infinité d’autres qu’il est inutile de citer. Les compositions de tous les maîtres de l’école vénitienne, depuis l’invention de la gravure par Ottavio Petrucci de Fosonbrone, qui vint apporter à Venise sa merveilleuse invention, jusqu’à Furlanetto, qui en est le dernier représentant, remplissaient les autres compartimens avec un luxe de notes et de commentaires qui étaient souvent consultés par les érudits et les amateurs. Au-dessus de cette magnifique bibliothèque, on lisait en lettres d’or ces vers d’un poète latin du XVe siècle, le Mantuan :

Semper apud Venetos studium sapientiæ et omnis
In pretio doctrina fuit ; superavit Athenas
Ingeniis, rebus gestis Lacedemona et Argos.

L’abbé étant enfin descendu, le sénateur lui dit d’un ton affectueux : — Assieds-toi, abbé, car ta présence est nécessaire ici. — À ces mots, Lorenzo fut saisi d’un redoublement de frayeur. Qu’allait-il donc se passer ? Le sénateur avait-il appris quelque chose du mystérieux roman qui s’était noué entre Beata et le fils de Catarina Sarti ? Tognina avait-elle trahi le secret de son amie ? La promenade faite à Murano avait-elle éveillé la vigilance paternelle ? Pâle et tremblant sur les suites d’une scène qui paraissait combinée pour frapper un coup décisif, Lorenzo ne voyait plus distinctement aucun objet, et tout son sang avait reflué dans son cœur agité. Beata, qui n’était pas moins inquiète, était restée penchée sur le recueil de vieilles estampes, qu’elle faisait semblant d’admirer.

— Vous savez, dit froidement le sénateur en s’adressant à Lorenzo, ce que j’ai fait pour vous ? Fils d’un ancien client de la maison Zeno, je vous ai recueilli et j’ai payé une dette de reconnaissance à la mémoire de votre père, en vous offrant les moyens de vous élever au-dessus de votre condition. En cela, j’ai obéi à l’esprit de l’aristocratie vénitienne et particulièrement à celui de ma famille, qui a toujours employé son crédit et sa fortune à augmenter le nombre de ses serviteurs ou de ses obligés. Il y a près de six ans que vous êtes dans ma maison, vivant de ma vie, sous la tutelle de l’abbé Zamaria, que voici, et de ma fille, qui a bien voulu prendre soin de votre éducation.