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reconnaissance de Cosme de Médicis, qui avait trouvé à Venise une hospitalité généreuse; indépendamment des académies, des couvens et d’autres institutions publiques qui possédaient des collections de livres assez remarquables, les grandes familles mettaient leur vanité à former des bibliothèques qui leur étaient un titre à la considération générale. On citait, parmi ces bibliothèques particulières, celle de Pier Grimani, qui fut élu doge en 1752, celle de la famille Nani, et surtout la fameuse collection des Pisani, qui était connue de toute l’Italie. La bibliothèque de la famille Corneri, qui s’éteignit en 1798, était remarquable par ses richesses musicales. On citait encore la bibliothèque des Tiepolo, qui provenait de celle des Contarini, les collections de Joseph Farsetti, de François Pesaro, d’Antoine Cappello, de Sébastien Zeno, cousin de notre sénateur, qui possédait les plus belles éditions des Aide, ces illustres imprimeurs et savans de Venise.

La bibliothèque du sénateur Zeno, qui était sous la direction de l’abbé Zamaria, formait une vaste salle carrée, divisée en compartimens, dont chacun était consacré à une branche particulière des connaissances humaines. Ces divisions étaient classées d’après une loi de succession qui les reliait autour d’un principe générateur, de manière à former un véritable tableau de la civilisation vénitienne. Au premier rang, dans le compartiment d’honneur, qui servait de point de départ, comme l’idée fondamentale de la hiérarchie, étaient placés les historiens, et surtout les historiens de Venise, depuis les chroniqueurs obscurs des premiers siècles de la république jusqu’à André Dandolo, qui en est l’Hérodote, et depuis ce contemporain de Pétrarque jusqu’à Bernard Justiniani, le premier historien critique de la ville des doges. La science politique, qui a sa source dans l’expérience, venait après l’histoire et contenait, indépendamment des œuvres de Platon, d’Aristote et de Cicéron, celles de Machiavel et de son contradicteur Paul Paruta, né à Venise en 1540 et mort dans cette même ville en 1598, après avoir rempli les plus hauts emplois de la république, dont il défendit la constitution dans son livre célèbre : Discours politiques (Discorsi politici). A côté des œuvres de Paruta étaient celles de Sarpi, l’historien indépendant du concile de Trente et le théologien de la république contre les prétentions de la papauté. Les écrits politiques de Paul et Dominique Morosini, de Luccio Durantino, de Scipion Anmirato, de Botero, et l’ouvrage de Donato Giannotti Fiorentino, Della Republica e Magistrati di Venezia[1]; les travaux de jurisprudence, les lois et décrets qui règlent les intérêts de la vie civile, collections nombreuses et

  1. Roma, 1541.