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l’accumulation des honneurs et de la fortune, des situations quasi royales, telle fut durant les dernières années de Mazarin la constante préoccupation de sa pensée, le principal souci de sa vie. Si au début de sa carrière il avait eu le bon esprit de subordonner ses intérêts d’argent à ses intérêts politiques, il se dédommagea amplement de ce retard sitôt qu’il n’eut plus à s’inquiéter de ses ennemis. Depuis son retour au pouvoir jusqu’à la mort, il consacra tous ses soins à l’agrandissement de sa fortune ; ne rencontrant point d’obstacles dans les institutions et se croyant autorisé par l’exemple de ses prédécesseurs, il l’eut en quelques années élevée à un chiffre presque fabuleux. Cent millions de notre monnaie, des palais, des bibliothèques, des tableaux, des statues, des diamans d’un prix inestimable, vingt-trois abbayes dont le roi le laissa souverainement disposer, un inventaire à effrayer l’imagination, tel fut le résultat d’une administration de huit années.

En offrant au roi, par une disposition qu’il savait être dérisoire, cet amas de richesses qu’aucun sujet n’avait encore possédées, Mazarin crut-il en purifier la source ? alla-t-il même jusqu’à penser qu’une telle consécration fût nécessaire pour le repos de sa conscience ? On peut en douter, si l’on tient compte des habitudes qui dominaient au sein de la haute administration dans ces temps où le contrôle de l’opinion publique ne s’exerçait ni par les lois ni par aucune sorte de publicité. C’est l’honneur de nos mœurs nouvelles d’avoir rendu dans les matières d’état et l’honnêteté plus stricte et l’opinion plus exigeante. En recevant un intérêt dans le produit de toutes les fermes et de tous les monopoles, en prenant ouvertement une part dans tous les marchés, en confondant enfin ses finances avec celles du royaume, à ce point que le roi, pour ses besoins personnels, s’adressait plus souvent au cardinal qu’au surintendant, Mazarin agissait comme l’avaient fait presque toujours les premiers ministres, et l’on peut croire que M. Colbert, son agent, ne pensait point voler le public en enrichissant son maître. Le monstrueux accroissement de la fortune du cardinal compromit gravement sans doute la réputation de Mazarin, mais ce fut sous le rapport de l’avarice plus que sous celui de la probité, et durant sa vie l’homme d’état, que nous flétririons aujourd’hui comme concussionnaire, ne s’entendit guère reprocher que son avidité.

En accumulant tant de trésors, Mazarin ne recherchait pas, on peut ! e croire, des jouissances raffinées pour la précoce vieillesse dont il sentait déjà les atteintes. Son but était d’assurer des établissemens princiers aux belles jeunes filles qui formaient comme la couronne de ses cheveux blancs. Des deux nièces que lui avait conduites en France la signora Martinozzi, sa sœur aînée, l’une eut l’honneur