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passions humaines forcément contenues s’ouvrent une issue timide et honteuse, comme un tempérament échauffé se purifie en déposant sur l’épiderme des rougeurs et des boutons.

Ce n’est jamais ce vice qui a fait périr aucune église ; les dangers des religions sont d’une nature beaucoup plus grave. Les polémistes qui attaquent les abus extérieurs de l’église anglicane feront tomber sous la honte bien des clergymen trop rapaces, ils livreront au ridicule quelques évêques trop zélés pour les biens de l’église ; mais ils ne peuvent pas toucher à l’institution même du clergé. Je donne au clergé anglican le conseil de se défier plutôt des apostats germanisans, des chrétiens rationalistes. Là est son plus grand danger.

Le roman de M. Trollope roule tout entier sur ces vices cléricaux. Il ne dogmatise pas, et de plus il ne nie pas les vertus qui se trouvent dans le clergé de l’église établie. Si ces vertus n’y apparaissent pas davantage, c’est que la fable du roman ne le veut point. Il a donné à M. Harding un caractère intéressant, coupable plutôt par étourderie que par préméditation ; mais en dépit de ces précautions, la cafardise cléricale s’y manifeste sous ses aspects les plus variés, avec son doucereux langage, ses voies tortueuses, sa molle violence, comparable, dans les affaires insignifiantes, à l’inoffensive sangsue que nulle force ne peut détacher de la veine qu’elle a percée, et dans les grandes occasions à la poulpe marine, créature irrésistible armée de membres élastiques, et répandant autour d’elle, lorsqu’elle est menacée, un liquide noirâtre qui la dérobe à son ennemi. Quelle excellente figure est celle du bon évêque de Barchester, aussi honnête qu’on peut l’être, et pour qui il n’existe qu’un seul monde, celui du clergé ! Il ne commettra jamais une injustice avec ses recteurs, ses ministres, ses vicaires, et il aura soin de favoriser leurs intérêts autant que possible ; mais l’idée qu’en favorisant ces intérêts, il peut blesser ceux des fidèles, l’idée qu’un laïque peut même avoir des intérêts n’est jamais entrée dans son esprit. C’est l’homme qui ne comprend pas qu’un laïque se plaigne, et qui, lorsqu’il est accusé d’une injustice quelquefois involontaire, joint les mains, fait le signe de la croix et s’écrie pieusement : Oh ! mon Dieu, les impies ! Son fils, le docteur Théophile Grantley, est le type absolument opposé ; c’est le pharisien clérical au complet, le Machiavel de sacristie, l’homme qui n’a du sacerdoce que le nom et les vices humains qu’il engendre ; le politique violent, dominateur, l’homme injuste sous un masque de vertu, pour qui les hôpitaux sont une institution politique et non pas l’asile des pauvres, qui voit dans l’église des prêtres et non pas des fidèles, qui tonne contre les hérétiques, les dissidens, les théologiens hétérodoxes sans se soucier du plus ou moins de