Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/705

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vieux chêne maintenant, inutile, mais encore si beau et si majestueux ? Qui pourrait emporter de la forêt ses branches parasites et gourmandes sans se rappeler qu’autrefois elles protégeaient les tendres arbrisseaux auxquels on leur ordonne de céder maintenant la place d’un ton si péremptoire et si dur ? »

Dans la ville imaginaire de Barchester vit le révérend Septimus Harding, warden, ou directeur d’Hiram’s Hospital, et par malheur pour lui, pour sa famille, et surtout pour sa charmante fille, vit aussi dans la même ville le jeune radical John Bold. L’hôpital dont le révérend est directeur fut fondé, il y a longtemps de cela, à l’époque des donations pieuses et sous l’empire de l’église romaine, par un ouvrier enrichi, nommé John Hiram, qui eut l’idée très pratique et très anglaise de sauver son âme, non par des vœux à la Vierge ou des pèlerinages aux tombeaux des saints, mais en coopérant au bonheur de ses semblables en général, et de ses anciens compagnons de métier en particulier. En conséquence il laissa par testament à l’église la maison dans laquelle il mourut et certaines terres environnantes, à la condition qu’un hôpital serait bâti sur cette propriété pour le logement de douze vieux cardeurs de laine infirmes ou hors d’état de travailler, et que les revenus seraient consacrés exclusivement à l’entretien de ces pauvres gens, sauf la somme fixée par lui-même pour les honoraires du directeur de l’établissement, lequel devait être (à moins d’obstacles imprévus) le maître de chœurs de la cathédrale. C’est en cette qualité que M. Harding était devenu warden de l’Hiram’s Hospital ; mais depuis l’année 1434, où mourut John Hiram, bien des changemens étaient survenus, le temps et les passions des hommes avaient fort altéré les clauses du testament. Ainsi, par exemple, il n’y avait plus de cardeurs de laine à Barchester, et en conséquence le doyen, l’évêque, le directeur, répandaient les bienfaits du vieux donateur sur leurs gens ou leurs créatures, bedeaux hors de service, vieux sacristains, fossoyeurs infirmes, etc., qui recevaient strictement la petite rente d’un shilling quatre pence par jour allouée à chacun par le testament, leur disait-on. En réalité, cette somme avait été fixée par M. Harding lui-même, qui s’était montré fort généreux, car naguère, sous les précédentes administrations, les vieillards ne recevaient que six pence. A vrai dire, cette générosité n’avait pas coûté grand’chose à M. Harding ; les revenus de la propriété laissée par John Hiram s’étaient accrus de siècle en siècle ; les pâturages où paissaient des vaches étaient couverts de bonnes maisons d’un bon rapport, si bien que, outre ses honoraires, l’honorable M. Harding avait pu vivre comfortablement et bien établir sa fille aînée, mariée au docteur Théophile Grantley, le propre fils de l’évêque de Barchester. Les esprits