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vérité de ces lettres, quoique l’authenticité en soit démontrée jusqu’à la dernière évidence.

Ceci nous conduit au dramatique incident qui, aux dernières années de la vie de Mazarin, vint mettre les devoirs de l’homme d’état en opposition avec les intérêts du chef de famille, en soumettant le cardinal à une épreuve qu’il sut traverser avec la plus honorable fermeté. Les relations journalières qu’entretenait le monarque avec les nièces du premier ministre avaient eu des conséquences imprévues pour la sollicitude paternelle de celui-ci. Après un goût passager pour Olympe Mancini, mariée depuis à un prince de Savoie, et qui fut la mère du prince Eugène, le roi s’était épris pour sa sœur cadette d’une passion d’autant plus sérieuse qu’elle était alors naïve et pure comme sa vie. Douée d’une beauté médiocre, mais pourvue d’un esprit entreprenant et résolu, Marie Mancini cultiva avec un art profond une tendresse à laquelle les promesses de l’astrologie judiciaire avaient rattaché l’espérance d’une couronne. Anne d’Autriche et Mazarin ne virent d’abord qu’une distraction sans péril dans cet attachement dont ils n’avaient pas soupçonné le caractère ; mais lorsqu’il fut question du mariage du roi avec l’infante d’Espagne, et que cette union fut devenue la condition fondamentale de la paix, dont les préliminaires venaient d’être arrêtés entre le cardinal et les ministres espagnols, quand Louis XIV fut dans le cas de s’acheminer lui-même vers la frontière pour se préparer à cette alliance, on se trouva placé dans la situation la plus embarrassante.

Les détails de la vie intime du Palais-Royal devinrent l’entretien de toutes les cours étrangères, les amis du prince de Condé ne manquèrent pas de les transmettre avec force commentaires à Bruxelles et à Madrid, pendant que le roi, venant en aide à la malveillance par le redoublement de tendresse qu’il témoignait à Marie Mancini, laissait soupçonner des engagemens qui, si extravagans qu’ils pussent être, n’étaient pas moins à redouter de la part d’un prince auquel il était donné de mettre sa toute-puissance au service de son amour. Mazarin comprit le péril et prit la résolution d’éloigner sa nièce. Marie partit pour La Rochelle, à peu près brouillée avec son oncle, et n’ayant au sein de sa famille que sa sœur Hortense pour approbatrice et pour confidente. Cet éloignement provoqua chez le roi un désespoir dont l’explosion publique présenta bientôt, pour les grands intérêts alors débattus entre le cardinal Mazarin et don Louis de Haro, des inconvéniens plus graves encore. Cédant à cette considération et aux prières d’un roi de vingt et un ans, qui suppliait lorsqu’il pouvait lui prendre la tentation d’ordonner, la reine sa mère consentit à ce que les deux amans se revissent un seul jour dans la ville de Saint-Jean-d’Angély, où le roi passa en se dirigeant