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trop invoquée. Pour le poète comme pour son œuvre, ne serait-ce plus une heure plus féconde que celle où il aurait, lui aussi, sa bonne parole, et où il céderait à cet élan mystérieux d’un cœur préparé par la souffrance à tout comprendre et à tout respecter ?

La politique, hélas ! n’a point les enchantemens de la poésie. Ses difformités et ses désastres ne sont point des fictions. Quand le fantastique intervient ici, c’est la réalité qui en souffre, c’est l’existence d’un pays qui est atteinte. Ainsi en est-il de l’Espagne, dont la situation est loin de s’améliorer. La détresse financière, des désordres de diverse nature envahissant les provinces, des pouvoirs qui s’affaiblissent, une rupture à peu près ouverte avec Rome, une lassitude universelle, ici est le résumé de l’état de la Péninsule.

L’assemblée constituante vient pour le moment de suspendre ses travaux, qu’elle ne parait devoir reprendre qu’au mois d’octobre, à moins de circonstances graves. Le congrès de Madrid n’est point mort sans doute légalement. Ce serait beaucoup dire cependant que de le représenter désormais comme très vivant. Les cortès espagnoles se voient menacées d’un discrédit chaque jour croissant, et rien n’est plus naturel malheureusement que ce discrédit. Il y a plus de huit mois déjà que l’assemblée réunie à Madrid le 8 novembre 1854 a commencé ses travaux. Qu’a-t-elle fait pour le bien de l’Espagne ? Elle a tout mis en doute, elle a soulevé les questions les plus périlleuses ; elle n’a réussi, dans ce long espace de temps, qu’à discuter les bases d’une constitution qui n’est encore qu’une œuvre informe, et à voter une loi, — la loi de désamortissement, — qui aboutit en ce moment à l’interruption des rapports diplomatiques entre l’Espagne et le saint-siège. Ce n’est pas que le congrès de Madrid n’ait multiplié les discussions et les votes : il a approuvé jusqu’ici quatre-vingt-onze lois ; mais sur ce nombre il y a presque une moitié consacrée à satisfaire des intérêts personnels, à décerner des pensions, des récompenses à tous ceux qui ont trempé dans une insurrection quelconque depuis plusieurs années. L’esprit politique de cette assemblée, on peut le voir à nu dans quelques mesures volées précipitamment avant l’interruption des séances législatives, lorsque les députés n’étaient plus même en nombre suffisant. Une loi compte comme temps de service effectif aux employés destitués depuis 1843 les onze années qu’ils ont passées dans l’inactivité, d’où il résulte que quand il viendra un gouvernement modéré, il aura autant de droits à prendre la même mesure à l’égard des fonctionnaires révoqués par la révolution de 1854. On voit où cela peut conduire les finances espagnoles, déjà en si bonne situation ! Une autre loi n’est pas moins étrange : elle accorde des récompenses à ceux qui ont été déportés aux Philippines à la suite des émeutes de 1848. Or le gouvernement agissait alors en vertu de pouvoirs extraordinaires qui lui avaient été confiés par les cortès, et il a rendu compte de l’usage qu’il avait fait de ces pouvoirs à des cortès régulières, en sorte que la loi actuelle est tout simplement une prime donnée à l’insurrection. C’est à ces tristes œuvres que le congrès a consacré les derniers momens de sa session, lorsque l’Espagne est sans lois administratives, lorsque le gouvernement est réduit à tous les expédiens pour se procurer des ressources financières. Chose à observer, l’assemblée n’a mis guère plus de temps avant sa séparation pour voter le budget que pour voter une récompense à un insurgé.