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déférence constante du jeune monarque fut le résultat spontané d’un respect tempéré par l’affection pour l’homme qui l’avait tenu sur les fonts de baptême[1]. Il ne tenta jamais de se soustraire à l’influence du cardinal, quoique celui-ci n’achetât cet ascendant par aucune faiblesse, peut-être même, pourrait-on dire, par aucune complaisance. L’éducation donnée à Louis XIV fut sévère presque jusqu’à la dureté. En face de son ministre et de sa mère, le prince le plus fier et le plus ardent de son siècle se maintint toujours dans les voies de la modestie, pour ne pas dire de la timidité. Mazarin était tellement assuré de la filiale soumission de son maître, qu’il ne songea jamais à le ménager dans ses faiblesses, et il arriva, chose étrange, que celui-ci fut peut-être le seul homme de son royaume pour lequel le cardinal ne se montra ni empressé ni facile.

Ce fut en apprenant à obéir que Louis XIV apprit à commander. La direction donnée à son éducation par le cardinal fut généralement parlant irréprochable, quoi qu’en aient pu dire les valets de chambre congédiés, encore que cette éducation ait été trop négligée sous le rapport des études classiques. Mazarin aimait peu les lettres, le marquis de Villeroy les aimait moins encore ; mais toute la correspondance du cardinal, qu’elle soit datée de Brühl, lieu de son exil, ou écrite durant les longues conférences des Pyrénées, constate combien il se préoccupait du soin de former l’esprit du roi aux affaires, et témoigne de ses constans efforts pour lui en inspirer l’intelligence et le goût[2]. Dans vingt lettres adressées au roi pour lui exposer les phases quotidiennes de ces négociations laborieuses, Mazarin insiste pour le préparer à diriger lui-même un jour les affaires de son état, sans l’intermédiaire d’un premier ministre. L’entretien fameux qui, après la mort du cardinal, étonna si fort les secrétaires d’état réunis pour la première fois en conseil, et la résolution exprimée par le jeune roi de gouverner désormais par lui-même, furent une suprême inspiration du cardinal à laquelle il avait depuis longtemps préparé son royal élève, soit qu’il considérât comme utile d’ajouter à la force de la royauté le prestige de l’action personnelle du prince, soit qu’il voulût par-delà la tombe écarter tout successeur. Le ministre entendait laisser au roi MM. Letellier, de Lyonne, Fouquet et Colbert comme des instrumens utiles, et qu’il avait façonnés lui-même, mais il n’admettait pas qu’aucun d’entre eux fût jamais en mesure de le remplacer. Le gouvernement direct par le roi était son vœu manifeste,

  1. Le 21 avril 1643, le cardinal Mazarin avait tenu la place du pape au baptême du jeune dauphin.
  2. Lettres du cardinal Mazarin pour la paix des Pyrénées, 2 vol. in-12, Amsterdam 1745.