Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/651

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le premier, et expose la croyance de l’église. Le philosophe écoule respectueusement, admet le fond du dogme, puis présente des interprétations, des adoucissemens, des restrictions et des accommodemens de toute espèce. Il ne veut pas renverser le christianisme, mais l’affermir. Il prétend le ramener à ses origines, lui rendre son sens primitif, le pousser dans sa voie naturelle ; il est plus chrétien que les chrétiens. Il oppose au théologien non-seulement les découvertes et l’esprit moderne, mais les Écritures et l’esprit ancien. Il l’engage à abandonner l’enfer et les peines éternelles, non-seulement au nom de la justice et de l’humanité, mais encore au nom des livres saints et de la primitive église. Il soutient que nul concile n’a fait à ce sujet de déclaration formelle, que si celui de Trente a prononcé le mot fatal, c’est incidemment et sans affirmation précise, que le mot éternel, en hébreu, n’a pas une rigueur mathématique, et signifie simplement un temps très long, que d’ailleurs beaucoup d’exemples nous autorisent à ne pas interpréter l’Écriture à la lettre, et qu’enfin on doit rapporter les deux phrases célèbres de l’Evangile non pas aux « peines individuelles, qui cesseront, mais à l’institution de l’enfer, laquelle durera toujours. »

On voit que si M. Jean Reynaud froisse les dogmes, c’est d’une main délicate, que son plus cher désir est de s’entendre avec l’église, et que s’il tient à la science, c’est pour la faire entrer dans le christianisme. On se fera de lui une idée assez exacte en le concevant comme un contemporain de saint Thomas qui aurait vécu quarante ans en Sorbonne, imbu et nourri de discussions sur la psychologie et la hiérarchie des anges, sur l’origine de l’âme et la transmission du péché originel, sur la création continue, sur le paradis et sur l’enfer. Ce docteur scolastique se trouve tout d’un coup transporté au XIXe siècle. Il lit Rousseau, visite des laboratoires, apprend la géologie et l’astronomie, et se trouve fort embarrassé. Ses idées anciennes sont gothiques, ses idées nouvelles sont hérétiques. Il aime les unes autant que les autres, et veut les garder toutes. Que faire ? Il les fait plier toutes ; il élargit sa religion et rétrécit sa philosophie, en sorte que sa philosophie puisse tenir dans l’enceinte de sa religion. Il tend une main à saint Augustin, et l’autre à Herschel, les tire à lui, les place de front, et leur impose la concorde. Il compose une philosophie à l’usage des gens religieux, une religion à l’usage des philosophes. Il veut rendre la philosophie religieuse, et la religion philosophique. Il admet toujours le péché originel, mais il entend par là le triomphe originel des penchans égoïstes et brutaux. Il conserve la rédemption, mais au sens spirituel, et considère le Christ, non comme un Dieu, mais comme un législateur sublime qui a ramené l’homme à l’espérance et à la vertu. Il veut croire encore au ciel et à l’enfer, mais il appelle de ce nom les conditions successives