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d’ailleurs, le maître est loin, pourquoi ne se sentirait-on pas à l’aise ? On s’abandonne si volontiers au dédommagement d’une longue contrainte. ! Je ne dis pas assurément que les choses se passent ainsi partout. M. Erman a observé ces tendances générales dans plusieurs villes de la Sibérie inférieure, principalement le long de la frontière chinoise, et les tableaux du voyageur anglais confirment cette intéressante remarque.

J’ai dit que les fonctionnaires étaient souvent des exilés ; M. Hansteen nous donne des détails très dramatiques sur un grand seigneur de l’aristocratie russe revêtu d’une simple fonction de police dans le chef-lieu de la Sibérie orientale. Nous sommes à Irkutsk, le Tobolsk de l’est, une ville assez grande, assez élégamment bâtie, quoique toutes les maisons soient construites en bois, et située d’une façon pittoresque sur un large plateau, autour duquel se croisent trois cours d’eau d’inégale importance : l’Angara, qui sort du lac Baikal, la petite rivière Uschakova et le fleuve Irkutsk, qui donne son nom à la ville. L’aspect d’Irkutsk est charmant ; la ville possède dix-huit églises, de ces riches églises byzantines à coupoles peintes de vert et d’or, qui donnent aux cités russes une physionomie tout orientale. Le ciel y est d’une limpidité extraordinaire. Le plateau sur lequel la ville est bâtie s’élève environ à quatre cents mètres au-dessus du niveau de la mer, et quand les rivières qui l’avoisinent sont glacées, il n’y a pas aux alentours une seule source, un seul cours d’eau qui puisse fournir à l’action du soleil un atome de vapeur. Aussi, depuis la fin de décembre, époque où l’Irkutsk et l’Angara se trouvent complètement emprisonnés sous la glace, jusqu’à l’heure du dégel, qui arrive d’ordinaire aux premiers jours d’avril, on n’aperçoit pas le plus léger nuage à l’horizon. Les routes y sont poudreuses comme dans nos campagnes de la Provence et du Languedoc. Par un froid de trente degrés, le soleil monte et descend dans l’azur du ciel, net, clair, brillant comme un bouclier d’or. Les étoiles ont un éclat scintillant que le voyageur n’avait jamais remarqué à son observatoire de Christiania ; c’est vraiment cette transparence incomparable, ce sont ces merveilleuses nuits du Midi que Racine a décrites en de gracieux vers, quand il habitait à Uzès, chez son oncle le chanoine. M. Hansteen trouva à Irkustk l’accueil le plus hospitalier ; le gouverneur de la Sibérie orientale, M. le général Alexandre Stépanovitch Lavinsky, le reçut à bras ouverts, mais ce fut surtout la famille de Muravief qui rendit particulièrement précieux pour M. Hansteen son séjour à Irkustk. M. de Muravief était chargé de la police, municipale : avant de remplir ces fonctions, dont il s’acquittait avec la simplicité et le goût exquis d’un grand seigneur, il avait joué un rôle considérable aux premiers rangs de l’aristocratie russe. Les aventures de M. de