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pitié. M. Hansteen, ne sachant trop quelle tournure les choses allaient prendre, demanda aux deux dames qu’il accompagnait si elles pensaient que les hommes dussent se retirer. — « Non, non, vous pouvez rester, » lui répondit Mme Hirsch, et presqu’au même moment la cérémonie commença. Toute l’assistance s’approcha du choeur. Un des popes se mit à entonner des cantiques auprès de la baignoire et traça de la main une large croix sur la surface de l’eau. On apporta ensuite deux paravens qui furent dressés en demi-cercle, de manière à cacher la baignoire aux spectateurs. Il ne resta dans ce demi-cercle que les deux popes et la marraine ; le parrain se retira du côté de la foule. Malgré ces précautions, il était encore assez facile de voir ce qui se passait dans l’enceinte réservée ; les paravens joignaient fort mal, et les personnes placées au premier rang pouvaient apercevoir sans trop de peine le théâtre de l’action. Le parrain s’approcha de la jointure. « Était-ce seulement, dit M. Hansteen, afin de mieux fermer les paravens ? je n’oserais l’affirmer. » Tout à coup on entendit un grand bruit et comme un cri de malaise et d’effroi. Cela se renouvela trois fois, tandis que de larges flaques d’eau s’écoulant sur le sol allaient se perdre sous les pieds de la foule. Quelques minutes après, les paravens furent enlevés, et tout le monde put voir la nouvelle chrétienne debout, pieds nus, le teint rendu plus vif par le saisissement de cette eau glaciale, la figure plaquée de rouge et de blanc, la chevelure ruisselante, et la chemise, parfaitement sèche d’ailleurs, collée çà et là sur son corps par l’attraction de l’eau. On entonna encore des chants et des prières autour de la pauvre femme toute grelottante de froid. Un des popes, trempant un pinceau dans l’huile sainte, lui dessina une croix sur le front, sur les oreilles, sur la poitrine, sur les mains et sur la plante de chaque pied. Enfin on lui jeta un grand châle bleu sur les épaules, et on la chaussa de souliers. « Ce fut à ma grande joie, ajoute le narrateur, car, pour supporter la cérémonie jusqu’au bout, dans l’état où la pauvre femme se trouvait, il me semblait qu’une nature de cheval aurait à peine suffi. Elle fut réellement plongée et submergée tout entière, nous dirent nos dames, qui s’étaient placées de façon à ne rien perdre ; mais comment elle entra dans le bassin, comment elle en sortit, si ce fut avec ou sans vêtemens, si elle plongea elle-même ou si les popes furent obligés de lui enfoncer la tête sous l’eau, tout cela, en vérité, je n’osai le demandera Mme Hirsch et à son amie, pensant qu’il leur serait peu agréable de me donner de tels détails. Je ne puis donc raconter que ce que j’ai vu et entendu, et je laisse à l’imagination du lecteur le soin de compléter la peinture. »

Le voyage de M. Hansteen et celui de M. Hill dans la province de Tobolsk sont remplis de détails de cet intérêt. J’indique seulement les plus caractéristiques. Si je voulais les suivre de ville en ville et de