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assister toutes deux à la cérémonie ; plies prièrent le voyageur de les accompagner à l’église. Il faisait ce jour-là, dit M. Hansteen, près de vingt degrés de froid. À peine entré dans le sanctuaire, M. Hansteen aperçut une femme debout, appuyée contre la porte, et les pieds nus sur la pierre. Elle portait pour tout vêtement une longue chemise de coton blanc, attachée au col par un ruban de soie bleue, garnie de larges manches, et tombant jusqu’à la cheville : c’était la prosélyte. Les églises de Sibérie se composent presque toujours de deux parties distinctes ; d’un côté, l’église d’hiver, plus petite, garnie de poètes et appelée en russe teplaja zerkva, c’est-à-dire l’église chaude ; de l’autre, la grande église, sans poètes, et destinée au service d’été. L’église d’hiver était chauffée, mais pas assez cependant pour dispenser M. Hansteen de s’envelopper dans ses fourrures. On voyait la prosélyte greloter sous sa chemise. L’église se remplit bientôt de curieux, et à mesure que le moment de la cérémonie approchait, les grands yeux noirs de la juive, errant ça et là sur la foule avec une mobilité farouche, exprimaient de plus en plus le trouble et l’épouvante. Cette femme était grande, robuste, âgée d’une vingtaine d’années environ, avec des cheveux noirs déroulés en boucles, et un teint frais et brillant. Elle eût pu passer pour belle, s’il y avait eu moins de vigueur dans toute sa personne, et plus de délicatesse dans les traits de son visage. Après quelques instans, deux popes parurent sur le seuil de l’église et se mirent à psalmodier les prières. Il y avait avec eux une jolie dame russe, Mme Schukolsky, et un docteur en médecine, M. Albert, Hanovrien de naissance, qui devaient servir de parrains à la convertie. Après les prières et les chants, qui durèrent bien un quart d’heure, Mme Schukofsky présenta à la juive une chemise de fine mousseline blanche avec un long ruban de soie rose flottant derrière l’épaule ; la jeune fille devait se dépouiller de la chemise de coton et y substituer celle-là. Les deux popes se placèrent devant elle comme pour la mettre à l’abri des regards indiscrets, et assez au large cependant pour qu’elle pût exécuter à son aise cette substitution de vêtemens. L’opération se fit sans blesser en aucune façon les convenances, et certes il faut en tenir compte à la prestesse ainsi qu’à la pudeur de la juive, car la foule était nombreuse, et l’abri que lui prêtaient les deux popes la protégeait médiocrement. C’est ici que commence la partie scabreuse de la cérémonie. Il y avait en haut du chœur une espèce de baignoire toute remplie, d’eau, aux quatre coins de laquelle étaient fixés des cierges de cire blanche ; un marche-pied était placé du côté gauche. La prosélyte allait donc être soumise aussi comme un enfant à l’immersion complète ? Cette question courait de bouche en bouche ; presque tous y faisaient une réponse affirmative, mais on ajoutait en même temps qu’elle ne se dépouillerait pas de sa longue tunique. La pauvre créature faisait