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depuis le do au-dessous de la portée jusqu’à son homonyme supérieur, et cet immense clavier de notes aussi pures que le cristal était d’une égalité parfaite. Aucune difficulté, aucun artifice de vocalisation ne lui était impossible : il accomplissait les tours les plus scabreux et les plus intrecciati le sourire sur les lèvres, et sans que son beau visage trahit jamais l’effort. Son trille était lumineux comme celui de l’alouette, et sa respiration si longue et si puissante, qu’aucun instrumentiste ne pouvait lutter avec lui. Tout le monde sait que lorsque Farinelli débuta à Rome en 1722 dans un opéra de son maître Porpora, il soutint, contre un trompette allemand fort célèbre, un assaut de ce genre qui excita l’enthousiasme de ce public atrabilaire et capricieux, dont j’ai eu tant à me plaindre. Dans un air avec accompagnement de trompette obligé, que Porpora avait composé expressément pour la circonstance, il y avait un point d’orgue sur une note culminante qui, après avoir.été attaquée, insensiblement enflée, et longtemps suspendue dans l’espace par la trompette, fut reprise par le chanteur avec tant de grâce, d’éclat et de vitalité, qu’après de nouveaux efforts, l’instrumentiste dut s’avouer vaincu. Porpora ménagea encore à son élève chéri un triomphe de ce genre à son début à Londres en 1734, où il éclipsa non-seulement Senesino et Carestini, le chanteur favori de Haendel, mais aussi la Cuzzoni et la délicieuse Faustina. À ces dons de la nature, à ces miracles de bravoure d’un gosier incomparable où il n’a été surpassé que par Caffarelli, il joignait une sensibilité exquise, un goût si pur et un style si élevé, qu’il n’y a que Pacchiarotti qui fait égalé de nos jours dans cette partie morale de l’art de chanter. Ah ! signori, s’écria Grotto avec émotion en se frappant le front de ses deux mains comme pour en faire jaillir des souvenirs ineffaçables, i ! fallait lui entendre dire pallido è il sole et per questo dolce amplesso, deux airs de Hasse, que le roi d’Espagne Philippe V se faisait chanter tous les soirs, pour avoir une idée de ce virtuose admirable qui aurait charmé les anges du ciel !

Dégoûté de la carrière dramatique pour laquelle je ne me sentais plus de vocation, j’acceptai avec empressement la proposition que me fit Farinelli de le suivre en Espagne en qualité d’accompagnateur, car, bien qu’il fût assez habile claveciniste, il n’aimait point à s’accompagner lui-même en public. Nous arrivâmes à Paris dans les derniers jours de l’année 1736. Farinelli fut aussitôt mandé à la cour de Versailles, où il chanta devant le roi Louis XV, qui fut si émerveillé de son talent, qu’en témoignage de sa satisfaction il lui envoya son portrait enrichi de diamans. Quatorze ans après, en 1750, Gafiarelli fut aussi appelé à Paris par la grande dauphine, princesse de Saxe, qui était passionnée pour la musique. Il chanta