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de ses oratorios et de ses opéras sérieux, par exemple, diffère beaucoup de celui de ses opéras bouffes ; il règne dans toute sa musique, comme dans les tableaux de Tiepoletto, son compatriote et son contemporain, une sorte de lumière blanche et souriante, qui n’est pas toujours en harmonie avec la gravité du sujet. D’ailleurs cette puissance de transformation, qui peut passer tour à tour du grave au doux et du plaisant au sévère, n’est dans les arts que le partage de quelques génies souverains. C’est donc dans le genre comique et de demi-caractère que le joyeux Buranello, comme on l’appelait à Venise, a particulièrement réussi, et cela n’a rien de surprenant, puisque l’opéra buffa est presque né à Venise, vers le milieu du XVIe siècle. On peut en trouver les germes dans les madrigaux burlesques de Jean Croce, surnommé il Chiozsetto, qui vivait à la fin du XVIe siècle ; dans l’Anfiparnasso o comedia armonica, d’Horace Vecchi, et surtout dans l’opéra que nous avons déjà cité : I Pazzi amanti, qui fut représenté au palais Grimani en 1567.

Comme directeur de l’école degl’ Incurabili, dont la belle église, qui n’existe plus de nos jours, était l’œuvre d’Antonio da Ponte, Galuppi composa sur des paroles latines de Pierre Chiari un grand nombre d’oratorios qui eurent beaucoup de succès. Sa Maria Madaleba, à six voix, fut exécutée aux Incurables en 1763, pour servir d’introduction au fameux Miserere de Hasse, qui avait été également directeur de cette école au commencement du XVIIIe siècle. Daniel dans la fosse aux lions fut exécuté en 1773. Galuppi avait divisé cette composition en deux chœurs, et on y avait surtout remarqué le chant du prophète plongé dans la fosse, qui formait un contraste saisissant et très dramatique avec celui du roi. L’année suivante, en 1774, il composa Tres pueri hebraei in captivitate Babylonis, où le cantique des trois Hébreux excita l’enthousiasme des auditeurs. Le dernier oratorio que Galuppi écrivit pour cette école, qui eut un si grand éclat sous sa direction, c’est Moïse de retour du mont Sinaï, qui fut exécuté en 1776. À l’arrivée à Venise du pape Pie VI, en 1783, on chanta aux Incurables, devant sa sainteté, une cantate de Galuppi : Il Ritorno di Tobia, dont les paroles italiennes étaient de Gasparo Gozzi. Lotti, Marcello et Galuppi sont les trois grands compositeurs vénitiens du XVIIIe siècle.

Lorsque l’abbé Zamaria eut fini de lire son éloge de Galuppi, qui fut souvent interrompu par les acclamations enthousiastes de l’assemblée, et qui lui valut cette haute approbation du sénateur Zéno : « Tu m’as ému jusqu’aux larmes, cher abbé, en parlant si dignement d’un enfant et d’une gloire de Venise ! » les jeunes filles des scuole chantèrent avec un ensemble parlait ce cantique des trois Hébreux dont nous venons de parler. Elles étaient divisées en deux