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et que l’on a essuyé d’expliquer toutes ses actions par des guérisons médicales : la délivrance de Prométhée par l’application de certaines plantes sur le foie rongé par le vautour, la résurrection d’Alceste par une cure habile, la destruction de l’hydre de Lerne et des oiseaux du lac Stymphale par un dessèchement hygiénique de marais insalubres ou la découverte de l’arum colocasia, plante mystérieuse qu’il employait à la guérison des ulcères. Quant à Esculape, on sait aussi qu’il était élève du centaure Chiron, qu’il descendait d’Apollon, et qu’Homère l’appelle « le médecin irréprochable. »

Malheureusement tout cela est bien précis, on n’ignore même aucun des noms des ancêtres d’Hippocrate appartenant aux dix-sept ou aux dix-neuf générations qui le séparant d’Hercule. Il faut se défier un peu d’une telle exactitude en de si anciens récits. Les Grecs, il est vrai, se distinguent par un grand respect pour les productions de l’esprit humain ; mais quant aux auteurs mêmes de ces productions, ils aiment mieux les diviniser que les honorer, et ils croient les grandir en entourant leur vie d’un voile mystérieux. C’est ce qu’ils ont fait pour Hippocrate, et ses admirateurs ne peuvent guère s’en plaindre, puisqu’ils l’ont aussi fait pour Homère. Cependant, malgré les travaux ingénieux d’un savant allemand, M. Petersen, la date de sa naissance semble bien fixée par Soranus ; elle concorde avec ce qu’on sait des principaux événemens de sa vie. Elle le fait un peu plus jeune que Socrate, et un peu plus vieux que Platon, qui le met en scène dans ses dialogues et le place au nombre des Asclépiades du temple de Cos. Hippocrate mourut à Larisse, en Thessalie, à un âge avancé, qui varie entre quatre-vingt-cinq et cent neuf ans. Le plus faible de ces deux chiffres se rapproche sans doute plus que l’autre de la vérité, peut-être même mourut-il plus jeune. Pline et Lucien ont tous deux fait un traité sur les hommes qui ont vécu longtemps. Ils citent Carnéade, mort à quatre-vingt-cinq ans ; Xénocrate, mort à quatre-vingt-quatre ; Platon, mort à quatre-vingts ans, etc., et ils ne parlent pas d’Hippocrate.

M. Littré, M. Daremberg, M. Houdart, M. Petersen, se sont efforcés de démêler le vrai et le faux dans la biographie donnée par Soranus. Chacun d’eux a successivement ébranlé une des dates, un des événemens de la vie d’Hippocrate, une des guérisons opérées par lui, et de ce travail de destruction il résulte qu’on ne peut plus rien affirmer sur sa vie et sur ses voyages. On serait presque tenté de nier son existence dans ce chaos d’incertitudes et de contradictions, comme Wolf a nié l’existence d’Homère ; mais si la meilleure preuve de l’existence de Dieu est l’existence du monde et son ordonnance, le seul moyen de prouver qu’un poète ou un médecin ont vécu, c’est de rappeler ses poèmes ou ses doctrines, et c’est ce qu’on peut faire pour Homère et pour Hippocrate. Je conviens, et nous en