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au cœur même de l’Europe n’ait été, pendant près d’un siècle, un vrai fléau pour le christianisme et pour la civilisation. L’Europe eut beau mettre ces brigands hors du droit des nations, attacher les chefs au gibet, et traiter les soldats sans quartier : ce triste système de représailles, en ravalant la civilisation au niveau de la barbarie, n’amenait que l’exaspération de la barbarie même. On songea enfin à l’emploi d’un remède essayé à diverses époques sur les peuples païens de l’Europe septentrionale, et qui consistait dans un certain mélange de coercition morale et de violence armée. Quand un de ces peuples qui gênaient le développement chrétien et monarchique des grands états européens se rendait par trop insupportable à ses voisins, on le pourchassait, on le mettait aux abois, et lorsque, à bout de ressources, il implorait la paix, on la lui accordait telle qu’elle le chargeât d’une double chaîne, au dehors et au dedans. Ainsi on l’obligeait par traité à recevoir des missionnaires chrétiens, à laisser construire des églises et des couvens sur son territoire, à reconnaître les évêques qu’on lui donnerait, et ces instrumens d’une conquête religieuse, mis sous la foi des traités, asservissaient ce peuple en changeant ses mœurs. Dagobert avait usé de ce procédé, non sans succès, avec les Bavarois, Charlemagne avec les Saxons, et les empereurs germains de la maison de Saxe l’éprouvaient à leur tour sur les populations slaves de la Pologne.

La cour de Rome, comme on le pense bien, était toujours de moitié dans l’application de ce remède héroïque, et les armes qu’elle avait en main ne possédaient pas moins de puissance que l’épée temporelle des empereurs d’Allemagne, quoiqu’elles fussent d’une autre nature. La plupart des peuples susceptibles d’être ainsi convertis se trouvaient organisés en aristocraties militaires, sorte de gouvernement essentiellement favorable à l’esprit de turbulence et d’entreprise : tant que cette forme d’administration devait persister, il semblait impossible d’obtenir de ces peuples avec l’exécution sincère des traités un état de paix durable. Force était donc de ruiner le gouvernement aristocratique chez la peuplade qu’on voulait convertir, et d’amener celle-ci à une monarchie fondée sur des principes analogues à ceux des autres gouvernemens européens ; c’était là un des premiers soins de la politique chrétienne et civilisatrice. Le but n’était pas très difficile à atteindre, l’ambition des hommes aidant. On faisait briller aux yeux de chefs avides de pouvoir et rivaux les uns des autres la perspective d’une royauté concédée au plus digne, c’est-à-dire à celui qui aurait montré le plus de zèle pour la propagation du christianisme parmi les siens, et c’était au pape, dispensateur des couronnes en vertu du droit divin, qu’appartenaient le choix et l’institution des nouveaux rois. Les évêques et les missionnaires,