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tard la cité chrétienne d’Albe-Royale. La sépulture d’Arpad devient celle des chefs hongrois de la première période, ducs et païens : à la limite du canton se trouve celle d’Attila et des Huns, et entre les deux s’élèvera plus tard l’Église-Blanche où reposeront les rois chrétiens de la Hongrie. Le tombeau d’Arpad est un nouveau gage de consécration pour ce coin de terre, où se pressent les grands monumens de la nation magyare, les symboles de son passé et de son avenir.

À l’action principale que je viens d’esquisser se joignent dans les récits traditionnels beaucoup de détails, empruntés évidemment aux chansons domestiques. Si l’on en veut croire ces vieilles poésies, les violences et les cruautés des Magyars contre les Allemands ne sont que des représailles de famille, dont l’origine remonte aux guerres d’Attila et de ses fils. Ainsi Bulchu, un des plus épouvantables héros de l’histoire hongroise, que ses actions atroces firent surnommer de son vivant Ver-Bulchu, c’est-à-dire Bulchu le mauvais, commettait ses barbaries dans un esprit de vengeance héréditaire. « Il faisait rôtir à la broche, nous dit Simon Kéza, tous les Allemands qu’il pouvait rencontrer, et buvait leur sang en guise de vin, par la raison que les Germains avaient fait périr cruellement un de ses ancêtres à la bataille de Crimhild. » On aperçoit bien ici comment le lien épique, passant d’une époque à l’autre, formait un seul tissu de toutes ces traditions générales ou particulières. Enfin les documens traditionnels que nous possédons contiennent, outre les faits relatifs à la conquête, l’état du conquis et la désignation des lots attribués à chaque famille par droit de premier occupant ou par concession ultérieure. C’est le Doomesday-Book de la Hongrie : à chaque ligue, on y retrouve la mention que le droit de propriété dérive du roi Attila.


SAINT ETIENNE ET LA SAINTE COURONNE.

Nous arrivons au dénoûment de l’épopée magyare, et quelques explications historiques préliminaires aideront à bien comprendre le sens profond de cette péripétie, qui clôt les temps héroïques de la Hongrie ainsi que la tradition proprement dite.

De l’époque d’Arpad, nous sommes transportés aux dernières années du Xe siècle. Il y a quatre-vingts ans que les Magyars ont fondé un petit état au midi des Carpathes, et quatre-vingts ans que le pillage et la dévastation parlent de ce petit état pour aller atteindre jusqu’aux nations européennes les plus éloignées. Une haine instinctive du christianisme et le goût des profanations donnent à ces ravages un caractère particulièrement effrayant pour la chrétienté. On ne peut disconvenir que l’intrusion de cette république de brigands païens