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règne sur la tribu d’Erd, au pays des Magyars. Elleud est sombre et chagrin, car il n’a point de fils, et sa femme chérie, Emésu, maudit nuit et jour sa stérilité. Une nuit que, lasse de pleurer, elle a cédé au sommeil, elle voit en songe l’oiseau Turul, l’épervier, symbole d’Attila, qui, planant au-dessus d’elle, semble l’enchaîner sous son vol, puis replie doucement ses ailes et vient dormir à son côté. Elle rêve ensuite que son sein se brise, et qu’il en jaillit un torrent brillant et brûlant comme du feu, qui parcourt le monde en le couvrant de ruines. Neuf mois après, elle met au monde un fils qu’elle appelle Almus, mot qui signifie également l’enfant du rêve et l’enfant sanctifié[1] ; les Magyars le surnomment l’enfant de l’épervier[2]. Cette incarnation d’Attila dans son petit-fils Almus n’a rien que de conforme aux idées orientales. Aujourd’hui encore les Mongols attendent la venue de Timour, qui doit s’incarner pour relever son peuple et lui rendre la domination de l’Asie. Almus ouvre un nouveau cycle de la poésie magyare, en même temps qu’une nouvelle période de l’empire des Huns.

Il grandit et se développe dans tout l’éclat de la beauté magyare. « Il était brun, tirant sur le noir, dit la tradition ; il avait de grands yeux noirs, une taille dégagée et souple, les mains grosses et les doigts longs. Nul ne l’égalait en générosité, en bravoure et en justice, car, bien qu’il fut païen, le Saint-Esprit était avec lui[3]. » Il se marie, et son fils Arpad devient homme à ses côtés ; mais une inquiétude secrète tourmente Almus. Quelque chose l’entraîne hors de son pays, à la recherche des royaumes jadis conquis par Attila : cédant enfin à sa destinée, l’enfant de Turul se décide à partir et appelle à lui des compagnons. Il s’en présente sept, sept chefs braves et renommés que suit une année innombrable, et qui portent, dans la tradition, le nom d’Hétu-Moger, c’est-à-dire les sept Magyars par excellence. Les Huns, à leur départ d’Asie, comptaient aussi sept chefs, six capitaines et le grand-juge Turda. Les Hétu-Moger choisissent Almus pour commandant suprême ou duc, et se lient entre eux et à lui par un serment terrible. Rangés en cercle autour d’un baquet, le bras gauche étendu, ils s’ouvrent la veine avec leur poignard, et, confondant dans le baquet leur sang qui jaillit, ils jurent de reconnaître pour leurs ducs à perpétuité Almus et ses descendans, de mettre en commun leur butin et leurs conquêtes, de se

  1. « Quia ergo somnium in lingna huugarica dicitur Almu, et illius ortus per somnnm fuit prognosticatus, ideo ipse vocatus est Almus, vel ideo vocalus est Almus, id est sauctus, quia ex progenie ejus sancti reges et duces erant nascituri. » Notar. anon., Chron. hung.,3.
  2. De génère Turul. Kes. Chron., II, 1.
  3. « Donum spiritus sancti erat in eo… » Notar. an. Chron. hung., 4.