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tous les yeux sont éblouis en la voyant. Attila veut que son nouvel hymen soit inauguré par des fêtes splendides, des courses de chevaux, des combats simulés et un repas qui dure trois jours ; mais des pronostics menaçans viennent se mêler aux éclats de sa joie. Son cheval favori meurt subitement le jour même des noces, et quand sa fiancée, le soir, veut entrer dans la chambre nuptiale, elle se heurte le pied droit contre le seuil de la porte si rudement qu’elle est obligée de s’arrêter. « Que tardes-tu ? » criait Attila dans son impatience. — « Je viendrai quand il sera temps ! » répondit Mikolt. On vit dans cette scène un présage de mort. Le lendemain en effet, Attila est trouvé dans son lit, froid et tout baigné de sang : une hémorrhagie l’a enlevé pendant qu’il dormait. Nous reconnaissons ici la tradition hunnique directe, celle que propagèrent les fils mêmes du conquérant, quand ils firent chanter à ses funérailles que la mort de leur père ne réclamait point de vengeance.

À peine la tombe du roi des Huns est-elle fermée, que ses deux fils, Ghaba et Aladarius, tirent l’épée pour s’arracher les lambeaux de son héritage. C’est Théodoric qui les pousse à la destruction du royaume de leur père. Les Germains prennent parti pour le fils de Crimhild, les Huns pour celui d’Honoria, et la lutte à mort va se vider sur un plateau qui domine Bude, ville fatale, déjà marquée par un fratricide. La bataille dure quinze jours entiers sans trêve ni relâche, quinze jours durant, la flèche siffle dans l’air, les boucliers se heurtent et les épées se croisent : on ne vit jamais pareil massacre dans le monde. Chaba est vaincu, mais Aladarius vainqueur meurt de ses blessures. Les Germains donnèrent à cette terrible journée le nom de Crimhild, en souvenir de la princesse germaine, mère d’Aladarius, qui avait semé la haine dans le cœur des deux frères, et qui peut-être présidait à la bataille où périt son fils. « Tant de sang y fut versé, dit Simon Kéza, que si les Allemands ne s’obstinaient pas à mentir par vanité, ils confesseraient que pendant plusieurs jours ni hommes ni bêtes ne purent boire dans le Danube entre Potentiana et Sicambrie, attendu que le fleuve roulait dans son lit moins d’eau que de sang. » Cette phrase nous prouve qu’il existait au moyen âge une rivalité patriotique entre les minnesinger allemands et les rapsodes hongrois, chacun cherchant à exalter son pays aux dépens de l’autre : ce fut au milieu de ces joutes de l’orgueil national et de la poésie que la tradition revêtit sa dernière forme. Chaba vaincu se réfugie en Grèce « avec quinze mille Huns, débris de son armée. Honorius, son aïeul, d’après la tradition (car la similitude de nom a fait d’Honoria une fille d’Honorius), le reçoit avec tendresse à Constantinople, veut le retenir près de lui, et lui offre pour ses sujets des terres et des femmes. » Non, répond résolument