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en vertu d’un marché conclu entre Attila et Jésus-Christ, aux portes de Rome, pour la rançon de la ville éternelle et des tombeaux des saints apôtres. Il se peut que ceci soit étrange et nous enlève bien loin de l’histoire dans le domaine de la fantaisie ; mais s’il y eut jamais, dans la pensée d’un peuple formulant son passé, une idée grande et poétique, c’est bien assurément celle-là.

Telle est l’idée systématique qui se montre au fond de ces traditions éparses, et en constitue pour ainsi dire le nœud. Autour des trois personnages principaux, des héros de la trilogie, se groupent comme il arrive dans toutes les épopées, de nombreux personnages secondaires, dont les aventures, liées au plan général, composent les épisodes du poème. Les héros inférieurs, on le devine bien, sont les fondateurs de la noblesse magyare, les ancêtres des magnats, qui dominaient la Hongrie aux XIe et XIIe siècles, quand la tradition revêtit sa forme définitive. C’est ainsi que les souvenirs domestiques des petits rois grecs, rattachés à une action commune, donnèrent naissance à l’Iliade, et que l’Enéide consacra dans un cadre national les prétentions de l’aristocratie romaine au temps d’Auguste. La Hongrie n’a pas eu ce bonheur de produire une Enéide ni une Iliade, mais elle a possédé au moyen âge ce que possédaient la Grèce et l’Italie avant Homère et Virgile, des chants nationaux, des traditions de famille et une pensée épique, qui pouvait y porter la vie. Les matériaux sont restés à l’état de chaos : l’Enéide hongroise est morte avant de naître ; mais on en peut retrouver le dessin dans les chroniques, dans les légendes, enfin dans quelques chansons encore reconnaissables sous les mutilations de la prose latine. C’est de là qu’il faut dégager cette épopée qui ne fut jamais écrite, et qui se formait d’elle-même, parce qu’elle était dans l’esprit et dans le sentiment de tout le monde. En essayant de la reconstruire ici, je me conformerai au plan même des chroniques qui nous la donnent. Elles divisent la période héroïque de l’histoire de Hongrie en trois époques, savoir : l’époque des Huns, celle des Magyars proprement dits, enfin celle de la conversion du peuple hongrois au christianisme et de la conquête de la sainte couronne. Je désignerai chacune de ces trois époques par le héros qui en est le symbole.

ATTILA.

La tradition nous introduit d’abord dans le Dentumoger, berceau de la tribu de Magog, où demeurent les Mogor ou Magyars, et près d’eux les Huns, avec lesquels ils se confondent comme enfans de la même race. Aucune contrée de l’univers n’égale en beauté la patrie des Magyars ; l’air y est plus salubre, le ciel plus pur, la vie