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où le Magyar apprenait l’histoire de sa race, par une composition chrétienne et plus littéraire, à son avis. Toutefois, malgré son dédain pour les jongleurs et pour leurs chansons, il ne parvient à effacer de ses récits ni la couleur profondément païenne, ni la rudesse poétique des documens traditionnels sur lesquels il travaille. On trouve chez lui des retours de phrases et de pensées qui indiquent clairement la source où il puise. Il cite aussi parfois les formules ordinaires des chansons, mais pour s’en moquer. « Les Hongrois, dit-il, se conquirent bonne terre et bonne renommée, comme parlent nos jongleurs. » Au reste il se pique de discernement dans le choix des matériaux qu’il emploie, « N’attendez pas de moi, dit-il dans un endroit de son ouvrage, que je vous raconte comment Botond (espèce de nain hongrois) est allé jusqu’à Constantinople, et a fendu la porte d’airain d’un coup de sa doloire : n’ayant rien rencontré de pareil dans les livres des historiographes, j’ai rejeté cette fable du mien. Si vous en voulez davantage, croyez, aux chansons des jongleurs et aux contes des paysans ! » Le nom d’Attila revient sans cesse sous la plume de l’anonyme.

Après la chronique du notaire se présente, par ordre d’importance et aussi de date, celle de l’évêque Chartuicius, écrite pour le roi Coloman, entre les années 1095 et 1114, et intitulée Chronica Hungarorum. Coloman est ce bizarre roi de Hongrie qui, après avoir écrasé la troupe de Pierre l’Hermite à son passage pour la Terre-Sainte, fit si bon accueil à Godefroy de Bouillon, et qui lui adressa cette lettre de bienvenue : « Ta réputation, mon cher duc, m’a persuadé que tu es un homme puissant et juste dans ton pays, pieux et honorable partout où tu vas, estimé et glorifié par tous ceux qui te connaissent. Aussi t’ai-je toujours aimé, et mon grand désir en ce moment est-il de te voir et de te connaître. » Les ouvrages de Chartuicius, auteur d’une des légendes de saint Etienne, furent en si haute estime aux XIIe et XIIIe siècles, qu’on les déposa dans le chartrier du royaume, où on les consultait comme des documens d’une autorité souveraine, lorsqu’il s’élevait quelque contestation entre le prince et les magnats. C’est dans la Chronique des Hongrois que se trouve l’indication du fil mystérieux au moyen duquel Attila se rattache à la Hongrie chrétienne. Chartuicius était fort âgé quand il composa ce livre sur l’ordre du roi Coloman, et il s’excuse avec bonhomie des fautes qu’on pourra reprendre dans sa prose latine. « Je sens que le grammairien Priscianus, autrefois de ma connaissance assez intime, m’a depuis longtemps délaissé, dit-il. Je suis vieux, et les brouillards de l’âge ont obscurci la lumière qui éclaira jadis mon esprit. » Nous avons donc, dans les deux chroniques du notaire anonyme et de l’évêque Chartuicius, deux résumés des traditions nationales, écrits