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Les documens auxquels on donne ce nom remontent-ils à une époque éloignée de nous ? ont-ils un caractère suffisant d’authenticité ? Voilà la seconde question qui se présente à notre examen.

Entrés en 891 dans le pays qui porte leur nom, les Hongrois recevaient le christianisme vers 972, et dès le milieu du XIe siècle, des chroniques rédigées en latin commencèrent à fixer leurs souvenirs. Ils possédaient un mode de transmission populaire et certain dans la poésie chantée. La poésie semble avoir été d’institution publique chez les nations sorties des Huns. On a pu voir dans la vie d’Attila comment les jeunes filles qui marchèrent à sa rencontre aux portes de la bourgade royale, rangées par longues files, sous des voiles blancs, chantaient des hymnes composés à sa louange, et comment aussi, dans ce repas auquel assista Priscus, les chants des rapsodes, célébrant les actions des ancêtres, animèrent tellement les convives que des larmes coulaient de tous les yeux. Ces chansons, transmises de génération en génération, formaient les annales du pays. Le même usage exista sans doute chez les Avars, quoique l’histoire ne nous le dise pas positivement ; mais elle nous dit qu’il existait chez les Hongrois. Arpad avait avec lui des chanteurs quand il arriva sur le Danube. Tout le monde était poète chez les premiers Magyars, et tout le monde chantait ses propres vers ou ceux des autres en s’accompagnant d’une espèce de lyre ou guitare appelée kobza au moyen âge. Non-seulement on était poète et chantre des actions des autres, mais on se chantait fréquemment soi-même, on chantait ses aïeux, et chaque grande famille eut ses annales poétiques. Voici un trait de l’histoire de Hongrie qui ne laisse aucun doute à cet égard. Sous le gouvernement du duc Toxun, aïeul de saint Etienne, une armée magyare avait envahi le nord de la France ; mais au passage du Rhin elle fut surprise et enveloppée par le duc de Saxe, qui la guettait. Chefs et soldats furent massacrés ou pendus à l’exception de sept que le duc renvoya, le nez et les oreilles coupées, en leur disant : « Allez montrer à vos Magyars ce qui les attend, s’ils reparaissent jamais chez nous. » Les sept mutilés reçurent mauvais accueil dans leur patrie, pour ne s’être pas fait tuer comme les autres. Séparés de leurs femmes et de leurs enfans et dépouillés de leurs biens par jugement de la communauté, ils furent condamnés à ne rien posséder le reste de leur vie, pas même des souliers pour garantir leurs pieds, pas même un toit pour s’abriter. Ils durent aller mendier de porte en porte leur pain de chaque jour : ils perdirent jusqu’à leurs noms ; on ne les connut plus que sous celui de Hétu-Magyar-Gyak, les sept Magyars infâmes. À ce comble de misère, soit désespoir et besoin d’exciter la compassion, soit orgueil et désir de braver la honte, ils mirent en vers leurs propres aventures, qu’ils allèrent chanter de village en