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marches de Saint-Pierre ou de Sainte-Marie-Majeure, attendant la bénédiction du pape, il est évident que sir C.-L. Eastlake n’a pas rendu fidèlement le caractère des personnages qu’il a mis en scène. Ses pèlerins n’ont jamais sué sous le soleil, ils ne sont pas vêtus à la mode italienne, mais attifés pour l’Opéra-Comique. Ce tableau ne me rappelle pas ce que j’ai vu. Je ne veux pas discuter François Carrare, seigneur de Padoue, échappant à la poursuite de Galeasao Visconti, duc de Milan. C’est une œuvre sans portée, faiblement conçue, exécutée plus faiblement encore. Qu’on la range à son gré parmi les morceaux historiques ou les morceaux de genre, on n’arrivera jamais à pouvoir la louer. La Svegliarina, acquise par le très honorable lord-maire, est considérée par les compatriotes de sir C. Eastlake comme un prodige d’élégance et de grâce. Je n’entends pas contester tout ce qu’il y a d’exquis dans le choix du sujet : une jeune mère éveillant son enfant par une douce mélodie séduit toujours les imaginations capables de compléter le poème inachevé qui leur est offert ; mais pour un œil sévère, ce tableau n’a pas une grande valeur. Ni la mère ni l’enfant ne sont modelés avec assez de fermeté. Pour traiter un pareil sujet, ce n’était pas trop du savoir de Léonard, de l’élégance de Solario ou de la grâce ingénue de Luini. Sir C. Eastlake ne s’est pas même élevé jusqu’à l’école de Bologne ; aussi j’ai peine à m’expliquer l’engouement de ses compatriotes pour la Svegliarina. Il est bon d’aimer son pays, mais il ne faut pas que cette sainte passion ferme les yeux aux défauts d’une telle œuvre. La Svegliarina remplace la vérité par l’afféterie. Le respect, le culte de la patrie ne changent rien au culte de la peinture ; un dessin mou, un modelé incomplet, à quelque nation qu’ils appartiennent, seront toujours des défauts capables de gâter le plus charmant sujet.

Parmi les trois tableaux de M. Millais, il y en a deux que la discussion ne saurait atteindre, et dont l’exécution mignarde serait admirée comme un prodige de patience dans un pensionnat de jeunes filles : le Retour de la Colombe à l’arche et l’Ordre d’élargissement. Si ces deux compositions, au lieu d’être offertes à la curiosité publique, étaient proposées aux familles comme un spécimen des leçons données aux élèves, je pourrais, je devrais garder un silence complaisant : mais il s’agit d’œuvres soumises au jugement de la foule, et l’indulgence n’aurait pas d’excuse. La conception, il est vrai, ne manque pas de simplicité ; quant à l’exécution, elle est d’une toile mollesse, qu’elle n’a rien à démêler avec la peinture proprement dite. Je ne vois guère que les ascendans ou les descendans de l’auteur qui puissent regarder avec intérêt le Retour de la Colombe et l’Ordre d’élargissement. L’Ophélia mérite une attention bienveillante, car si le choix des tons n’est pas heureux, si M. Millais, en retraçant une des scènes les plus touchantes de Shakspeare, a méconnu les