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plus grands non-seulement de l’école anglaise, mais de notre âge. Il connaît la nécessité du sacrifice, la nécessité de l’exagération, deux conditions fondamentales de tous les arts d’imitation, auxquels l’imitation pure ne suffit pas malgré le nom qu’ils portent, et c’est parce qu’il tient compte de ces deux conditions qu’il s’élève au-dessus des peintres de son pays, et tient une si grande place dans l’art européen. Son Bélier à l’attache révèle chez lui le sentiment de l’idéal. Landseer est vrai parce qu’il dédaigne la réalité prosaïque.

M. Mulready est un peintre à la mode, et je reconnais volontiers que ses compositions ne manquent pas d’un certain agrément, je conçois qu’elles plaisent par le tour ingénieux qu’il sait leur donner ; mais l’exécution de ses figures n’est pas assez serrée pour contenter un regard attentif. Le Frère et la Sœur, le Loup et l’Agneau laissent trop à désirer sous le rapport de la précision. Le défaut que je signale dans ces deux toiles est plus frappant encore dans les Baigneuses. La jeune fille au premier plan est modelée d’une manière très incomplète. C’est un motif séduisant traité avec négligence. Le torse ni les membres ne révèlent une étude sérieuse de la nature. C’est un à peu près, et rien de plus. Pour tirer parti d’un tel sujet, il eût fallu regarder longtemps le modèle avant de le copier. M. Mulready s’est affranchi de cette condition. Il a cru qu’il suffisait de montrer une jeune fille nue pour attirer tous les regards et séduire tous les juges : il s’est trompé. Pour peindre le nu, il est nécessaire de posséder un savoir profond, et je ne pense pas que M. Mulready se soit jamais préoccupé de cette nécessité. Il se contente du choix des tons, et la majorité des spectateurs parait s’en contenter comme lui. Il semble donc que le succès donne raison à M. Mulready, mais le succès obtenu par des moyens si faciles ne saurait être de longue durée. La mode, qui a pris l’auteur sous sa protection, ne tardera pas à l’abandonner, et je doute fort qu’il arrive jamais à conquérir une solide renommée. Cependant, si le savoir lui manque, son coup d’œil n’est pas dépourvu de justesse. Dans le Loup et l’Agneau, les deux têtes d’enfans ont une expression fine ; dans la Discussion sur les principes du docteur Whislon, les deux graves interlocuteurs méritent le même éloge. De. toutes les toiles que M. Mulready nous a envoyées, celle que je préfère est une Vue de Blackheath. Il y a dans ce paysage une fraîcheur, un éclat, une jeunesse qui révèlent chez l’auteur une aptitude singulière pour la peinture de paysage. Ce n’est pas une œuvre achevée, mais c’est du moins une œuvre charmante.

M. Mulready est donc un homme de talent, dont le plus grand tort est d’avoir pour lui-même trop d’indulgence et de se contenter trop facilement. Je ne sais pas quel a été son maître, mais il n’est pas malaisé de deviner que ce maître, quel que soit son nom, n’a pas dirigé assez sévèrement les études de son élève. Il ne lui a pas recommandé