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d’éclatant, parfois infime de satiné dans la robe d’un cheval pur sang, et pourtant je trouve que Landseer a mis trop de coquetterie dans l’expression des jeux de la lumière ; il s’est trop attaché aux reflets, et cette préoccupation nuit à la pureté de la forme. Les épaules et les hanches de son cheval sont des prodiges d’habileté : qui oserait le contester ? mais l’intervalle compris entre les hanches et les aisselles n’est pas modelé assez simplement. Le désir d’accuser tous les jeux de la lumière de cette robe soyeuse donne au cheval de Landseer un aspect qui n’est pas précisément celui de la nature vivante. Rien de pareil chez Géricault : une franchise, une hardiesse que rien ne saurait surpasser. Ces réserves faites, je me hâte d’ajouter que les Animaux à la forge sont, à tout prendre, une excellente composition. Le maréchal ferrant ne vaut pas le cheval, je n’en disconviens pas, ses bras ne sont pas modelés avec assez de fermeté, et, pour un homme rompu à ce rude labeur, c’est un défaut dont nous devons tenir compte ; néanmoins ce défaut n’est pas assez saillant pour altérer l’harmonie de la composition. Depuis que nous avons perdu Géricault, personne chez nous n’a rien fait qui se puisse comparer à l’œuvre de Landseer, dans la peinture du moins, car, dans la statuaire, Barye est l’égal de Géricault et par conséquent l’égal de Landseer.

Le Bélier à l’attache offrait des difficultés nombreuses, qui n’ont pas besoin d’être indiquées, que tous les peintres connaissent parfaitement. Ils savent tous en effet que l’expression de la forme est d’autant plus laborieuse, d’autant plus pénible, que l’enveloppe du modelé est plus épaisse. Eh bien ! Landseer a triomphé magistralement de toutes ces difficultés. Il nous a donné un bélier plein d’énergie et de vérité. La richesse de la toison, qu’il a rendue a merveille, n’enlève rien à la précision de la forme, ce qui est, à mon avis, une victoire souveraine. L’imitation, par la couleur, d’un lion, d’un tigre, d’une panthère, d’un léopard ou d’un jaguar, n’est qu’un jeu, si on la compare à l’imitation d’un bélier, d’un ours ou d’un éléphant. Pourquoi ? parce que le tigre et le lion ont une forme vivement accusée, parce que les attaches musculaires se traduisent avec évidence, grâce à la minceur du pelage. Pour le bélier, pour l’éléphant, pour l’ours, le problème à résoudre est bien autrement difficile ; la toison, la peau, le poil enveloppe la forme. Pour l’exprimer nettement, il faut tricher, c’est-à-dire ne pas s’en tenir à l’imitation littérale de la nature. C’est ce que Landseer a parfaitement compris. Son Bélier à l’attache est fidèlement rendu et n’a pourtant rien de littéral. L’auteur exagère à dessein, avec une sagacité rare, tous les détails qui, copiés servilement, n’auraient pas assez d’évidence, et, grâce à cet ingénieux artifice, il rend le modèle dans toute sa vérité. C’est pour cette raison précisément que Landseer est un artiste éminent, un des