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planter leur drapeau dans la tour Malakof, il leur manquait l’appui qui eût assuré le succès, sans lequel ils ne pouvaient que mourir héroïquement. Depuis ce moment, de nouveaux travaux ont été entrepris pour serrer de plus près l’ouvrage russe, et tout annonce une action prochaine qui peut décider de l’issue du siège. Là est le nœud de la guerre. Jusqu’à ce que ce nœud soit tranché, la situation ne changera pas évidemment. Ce n’est point que la guerre sait nécessairement terminée par cela même ; mais la puissance de nos armes se sera manifestée victorieusement, et l’état de l’armée russe deviendra d’autant plus périlleux en Crimée, que les difficultés d’approvisionnement et de ravitaillement s’accroissent tous les jours. C’est là un des résultats de l’expédition dans la mer d’Azof. Ainsi on peut croire qu’un succès des armées alliées serait décisif aujourd’hui. Il réduirait à son dernier effort, à ses dernières ressources, cette résistance dont on ne peut méconnaître l’obstination et la vigueur.

Voilà l’état présent des choses au point de vue militaire. Des luttes nouvelles, de nouveaux efforts, telle est la perspective offerte aux quatre armées réunies autour de Sébastopol, pour abattre ce nid d’aigle de la puissance russe. Ceci est l’œuvre de la France, de l’Angleterre, de la Turquie et du Piémont. Quant à la possibilité d’attirer sur le terrain de la lutte commune d’autres puissances de l’Europe en présence de l’échec des dernières négociations diplomatiques, il faut reconnaître que cette chance a notablement diminué depuis que l’Autriche a déclaré sa résolution de ne point sortir de son immobilité, et a confirmé sa résolution en licenciant une partie de son armée. L’Autriche était le pays d’Allemagne sur lequel l’Europe comptait et avait le droit de compter dès que les négociations de Vienne trouvaient dans la volonté de la Russie un invincible obstacle : elle parait aujourd’hui se placer sur un terrain tout particulier, où son isolement même fera sa faiblesse. L’Autriche prétend rester fidèle au traité du 2 décembre et vivre moralement en alliance avec les deux puissances occidentales. Elle continuera à défendre les principautés du Danube contre la Russie, ou plutôt à les occuper, car elles ne seront probablement pas attaquées. Elle ne s’opposerait en aucune façon, si l’on veut, au passage des Turcs et des alliés dans le cas d’opérations dirigées contre la Bessarabie ; mais elle ne prendra point part à la guerre. Elle restera en un mot immobile, expectante et sympathique. C’est là pour le moment le résumé de la politique du cabinet de Vienne. Or l’Autriche remplit-elle ainsi les engagemens du 2 décembre ? S’est-elle déliée de toute obligation par les dernières propositions dont elle a pris l’initiative, et qui n’ont point été acceptées ? Sa position actuelle, qui la place au rang de la Prusse, est-elle la conséquence de la politique ostensible qu’elle a suivie jusqu’à ces derniers temps ? La réponse palpable est dans une série de faits consécutifs, dans le texte même du traité du 2 décembre, dans l’interprétation adoptée en commun des quatre garanties, dans le langage persistant du cabinet de Vienne au sein des conférences qui ont eu lieu, et qui ont si tristement fini. On se souvient des termes du traité du 2 décembre : il y est dit que si le rétablissement de la paix sur la base des quatre garanties n’est point assuré, l’Autriche, la France et l’Angleterre entreront sans retard eu délibération sur les moyens effectifs d’atteindre le but de l’alliance.