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mon club, et pendant les heures où pas un pauvre diable ne pouvait trouver au dehors une goutte de bière, je me suis fait servir ce que j’ai voulu. Deux minutes après passait au grand trot devant nos fenêtres la voiture d’un évêque, avec une paire de chevaux bien soignés, un cocher et des laquais en grande livrée, et contenant deux révérends gentlemen, qui sans doute avaient prêché le matin sur le texte : Le dimanche garderas… »

L’aristocratie portait donc cette fois le poids d’une inimitié qu’elle n’avait ni méritée ni provoquée ; la rude protestation de la multitude s’adressait, non pas tant aux nobles en particulier qu’aux riches en général et à tous ceux qui font les lois. Le cri qui, à travers les sifflets et les huées, saluait les voitures et faisait bondir les chevaux : Allez à l’église ! voulait dire : Si vous voulez prêcher, prêchez d’exemple ; si vous voulez nous faire jeûner, jeûnez les premiers ; si vous voulez nous faire faire pénitence, commencez par vous mortifier vous-mêmes. C’était une protestation contre l’hypocrisie et le pharisaïsme, et dont le plus déplorable effet était de convertir en des objets de risées et de haine les mots et les choses les plus habituellement respectés. Il a été dit avec raison que cette intervention maladroite de la législation n’aura eu d’autre résultat que de faire du jour du Seigneur un jour d’émeute, et de faire passer a l’état d’argot le langage de la religion. Le mot : Allez à l’église ! go to church ! est désormais devenu un proverbe, une locution de place publique ; ou vous envoie à l’église comme on vous enverrait dans un autre lieu moins bien habile, et le mot du gamin, dans les rues ou dans les combles des théâtres, c’est : Va-t-en à l’église ! « Les pharisiens, disait l’Examiner, ont réussi à profaner les mots et les idées les plus dignes de respect, et de plus ils ont commencé à apprendre au peuple la plus terrible leçon qu’il puisse apprendre, la haine du riche. C’est la leçon que le peuple français savait par cœur quand éclata la révolution, et c’est l’A B C de cet infernal rudiment que le peuple anglais répétait dimanche… En vérité, ces gens-là, si on les laissait faire, brutaliseraient notre pays. Ils en feraient deux camps, celui des hypocrites d’un côté, et celui des débauchés et des sauvages de l’autre. Une foule anglaise a toujours été renommée pour sa bonne humeur, et c’est sur la provocation des pharisiens que, pour la première fois, elle s’est montrée sauvage. Qu’on fasse attention à ce symptôme, car il est grave et sinistre. Il y a deux grandes classes dans ce pays : les classes de loisir et les classes de travail ; prendre aux classes qui souffrent leur pauvre pitance de plaisir, c’est à la fois cruel et imprudent, car c’est ne leur laisser d’autre jouissance que celle de la vengeance contre la société qui les traite aussi durement… »

On commençait à s’inquiéter sérieusement de la disposition des esprits, et, en présence du rendez-vous général annoncé pour le dimanche suivant dans Hyde-Park, le gouvernement fit de son côté ses préparatifs de répression. Ce fut en vain cependant que la police lit afficher la défense de tout