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scène changea de face. Quelques voix crièrent : « A l’allée des voitures ! » et la foule suivit le cri. Nous n’allons pas faire ici une description du parc ; quiconque l’a vu sait qu’il s’y trouve une allée dans laquelle les voitures prennent la file, comme ici aux Champs-Elysées. C’est là que le rassemblement se porta et se forma sur deux rangs. La première voiture qui apparut fut saluée d’une belle explosion de cris et de sifflets, que les chevaux prirent peur et s’emportèrent ; il en fut de même avec d’autres, et les cris ne s’arrêtèrent pas. Des voix menaçantes criaient : « Allez à l’église ! ne faites pas travailler vos domestiques le dimanche ! A bas le bill ! A bas le sabbat ! » Plusieurs personnes furent forcées de descendre de voiture, et ces scènes se prolongèrent jusqu’à huit heures du soir, répandant dans la ville une inquiétude générale.

Le lendemain, des interpellations, comme nous disions autrefois, furent adressées aux ministres dans la chambre des communes. On demanda à lord Palmerston s’il n’avait pas l’intention de faire retirer le projet de loi. Comme on sait, le projet de loi ne venait pas du ministre, mais de lord Robert Grosvenor ; lord Palmerston ne demandait pas mieux que d’en être débarrassé, et il s’empressa de répondre : « Si mon noble ami entend les applaudissemens qui ont accueilli cette question, je suis sûr qu’il en fera son profit. » Le ministre de l’intérieur, sir George Grey, déclara de son côté que le bill n’émanait pas du gouvernement et qu’il n’en était pas responsable ; mais à son tour lord Robert Grosvenor déclara à la chambre qu’il n’entendait pas rester seul responsable d’une mesure déjà sanctionnée par plusieurs majorités, que c’était l’affaire de la chambre autant que la sienne, et qu’il était décidé à persister. Il adressa aussi une lettre au Times, dans laquelle il expliquait sa persistance. Il refusait de considérer la démonstration de Hyde-Park comme l’expression véritable de l’opinion populaire, et il ajoutait : « Quand je vois à quels extravagans mensonges on a recours pour exciter la population contre cette mesure, je suis amené à conclure qu’il y a là quelque machination ténébreuse »

Dès ce moment, l’affaire prit des proportions plus grandes et plus graves, et il devint clair que le peuple se préparait à une résistance ouverte. De nouveaux placards couvrirent les murailles ; il y en avait qui disaient : « Concitoyens ! lord Robert Grosvenor prétend que nous ne sommes pas de la classe respectable du peuple… Ayez donc soin de venir dimanche prochain au parc dans vos meilleurs habits, et tachez d’avoir aussi bon air que vos supérieurs. Amenez vos femmes habillées comme des Colombines, amenez vos enfans en blouses propres et en collerettes blanches… »

Voici encore un autre placard : « Grande représentation, dimanche prochain, à Hyde-Park. Fête en plein air et concert monstre sous le patronage de la société des laissez-nous tranquilles. Le domaine de la couronne sera ouvert au public. L’eau chaude sera fournie par lord Robert Grosvenor, qui en a à revendre. Les dîners, la bière, le vin, les liqueurs, le tout