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bigoterie que le préjugé fait à Mme de Maintenon ? Personne n’a mieux su et n’a mieux dit ce que l’esprit du monde doit emprunter à l’esprit de la religion, et ce que l’esprit de la religion peut recevoir de l’esprit du monde : elle veut que les femmes soient des chrétiennes ; mais elle veut aussi que ces chrétiennes soient des épouses, des mères et des ménagères qui remplissent scrupuleusement tous les devoirs de leur état, sans mollesse et sans indolence, sans petitesse et sans fausse pruderie. En même temps qu’elle élève les filles pour la famille, elle veut aussi les élever pour la bonne compagnie, car le goût de la bonne compagnie et de la conversation aimable et sérieuse, qui en fait le charme, était un des traits particuliers du caractère de Mme de Maintenon. Elle voulait même faire de Saint-Cyr une sorte de séminaire de la bonne compagnie, pensant que les jeunes filles nobles qui en auraient pris le goût dans leur éducation le porteraient et le répandraient ensuite partout où elles iraient. De là les soins infinis qu’elle donne à leur éducation ; elle veut qu’elles aient l’esprit poli et non raffiné, instruit et non savant ; elle veut même aussi, Dieu me pardonne, qu’elles aient une belle taille et de bonnes manières. Elle se facile tout rouge quand elle s’aperçoit que la taille d’une demoiselle se gâte, et cela faute de lui donner le corset qu’il lui faut. Elle écrit à Mme de Berval, maîtresse générale, « qu’il faut donner des corps aussi souvent qu’il en est besoin pour conserver la taille. Songez, dit-elle, au tort que vous faites à une fille qui devient bossue par votre faute, et par là hors d’état de trouver ni mari, ni couvent, ni dame qui veuille s’en charger ! N’épargnez rien pour leur âme, pour leur santé et pour leur taille. Nourrissez-les durement, accoutumez-les à toute sorte de fatigues : elles sont pauvres, et apparemment elles le seront toujours ; élevez-les donc dans l’état où il a plu à Dieu de les mettre, mais n’oubliez rien pour sauver leur âme, pour fortifier leur santé et pour conserver leur taille[1]. »

Ces paroles, qui pour nous ont presque l’air d’une plaisanterie, ne sont que l’expression vive et familière du goût que Mme de Maintenon avait pour les allures et la contenance de la bonne compagnie. Prenant pareil soin de l’extérieur, elle se gardait bien de négliger l’intérieur. Si la bonne compagnie n’aime pas les bossues, elle aime encore moins les sottes, et les défauts de l’esprit la choquent plus que les défauts du corps ; elle peut s’accoutumer aux uns, elle ne peut pas supporter les autres, car ils la détruisent. Que faire donc pour donner aux filles de Saint-Cyr cet esprit à la fois aimable et sérieux qui est le propre de la bonne compagnie ? « Il faut, dit admirablement

  1. Lettres sur l’Éducation, p. 198.