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mariées, et à ne pas faire ce qu’elles auront à faire une fois qu’elles auront un ménage et une famille. L’éducation du couvent (je parle des anciens) était mauvaise, parce qu’elle ne préparait pas à la famille. L’éducation du monde ne prépare pas mieux à la famille. Nos filles sont bien heureuses d’avoir beaucoup de bon sens et de finesse : cela les sauve des dangers de l’éducation qu’elles reçoivent. Sans ce bon sens et cette finesse, elles pourraient croire qu’elles n’auront jamais autre chose à faire dans le monde qu’à être belles et aimables, ce qui est le charme des honnêtes femmes, mais ce qui ne peut pas être leur occupation.

La prédication de cette grande science de l’économie, que Fénelon veut enseigner aux femmes, a de nos jours surtout un grand défaut : elle a l’air de s’opposer au luxe, qui est devenu une maxime d’état. Il faut de nos jours gagner et dépenser beaucoup, et cela au nom même des principes de l’économie politique, fort contraire en cela à l’ancienne économie domestique. Je n’ai rien à dire contre ces nouvelles régles, sinon qu’en transformant les hommes et les familles en grandes machines de circulation pour la richesse, il doit arriver nécessairement que les hommes et les familles, dans ce mouvement de circulation, seront soumis à une instabilité singulière. Je ne dis pas qu’il y a de nos jours plus de pauvres et moins de riches qu’autrefois ; je crois seulement que l’on est plus souvent riche et plus souvent pauvre qu’autrefois, que les familles sont sujettes à plus de révolutions, et que de cette manière, loin que l’instabilité dans l’état soit compensée par la stabilité dans les familles, les deux instabilités s’ajoutent l’une à l’autre.

L’éducation de Saint-Cyr semble réglée sur le Traité de Fénelon, ou du moins c’est le même esprit qui anime l’ouvrage de Fénelon et la grande institution de Mme de Maintenon. Comme Fénelon, Mme de Maintenon veut que les filles soient élevées pour leur emploi dans le monde. « Faites-leur voir, dit-elle aux dames de Saint-Cyr en leur parlant de leurs élèves, faites-leur voir que la vraie piété est de remplir ses devoirs ; qu’elles apprennent celui des femmes, celui des mères, les obligations envers les domestiques[1]… » Elle veut surtout qu’elles soient bien persuadées d’avance que tous ces devoirs de femme, de mère, de ménagère, sont pénibles et durs, afin qu’elles n’aient pas de désappointemens et de découragement, quand il les faudra remplir. Les filles s’imaginent souvent qu’avoir un mari et un ménage, c’est avoir dans le mari un serviteur empressé et dans le ménage une occasion de commandement. Il n’en est rien : le mari est souvent bourru ou ennuyé ; il faut adoucir le bourru, il faut distraire

  1. Lettres sur l’Education, p. 94.