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et inappliquées ont une imagination toujours errante[1]. » Comme les éducations frivoles ressemblent trait pour trait aux éducations ignorantes, avec la prétention de plus, elles produisent les mêmes effets ; elles laissent de même s’égarer l’imagination. Si l’ignorance ne faisait jamais que des ignorantes et la frivolité que des frivoles, il n’y aurait que demi-mal ; mais qui sait quelle fausse et fatale éducation peuvent se donner à elles-mêmes ces têtes qu’on laisse vides de toute bonne occupation ? Il suffit d’une lecture mauvaise ou mal entendue pour enivrer ces cervelles vides. Je lisais, il y a déjà plusieurs années, ces paroles tirées des Mémoires d’une femme qui, ayant une nature perverse, la pervertit encore par une éducation qui n’était que frivole, et qu’elle rendait romanesque. « J’écrivais, je lisais avec ardeur, dit Mme Lafarge ; j’habituais mon intelligence à poétiser les plus minutieux détails de la vie, et je la préservais avec une sollicitude infinie de tout contact vulgaire ou trivial. J’ajoutai à ce tort de parer la réalité pour la rendre aimable à mon imagination celui plus grand encore de sentir l’amour du beau, de remplir plus facilement l’excès du devoir que les devoirs mêmes, de préférer en tout l’impossible au possible[2]. » L’affreuse condamnée qui écrivait ces lignes se faisait évidemment et à dessein romanesque et visionnaire pour paraître moins empoisonneuse. Il n’en est pas moins vrai qu’elle explique comment les éducations frivoles se tournent aisément en éducations romanesques, et qu’elle confirme par son dédain de la réalité ce que dit Fénelon de ces filles qui, s’étant nourries des chimères de leur imagination inoccupée, ne veulent pas descendre aux détails du ménage.

Quand Fénelon et Mme de Maintenon rejetaient pour les filles l’éducation du cloître, ce n’était pas pour leur donner une éducation d’académie. Aucun des grands esprits du XVIIe siècle n’aime les femmes savantes. Molière les joue en plein théâtre. Mme de Maintenon, avertie par l’expérience, corrige sévèrement à Saint-Cyr l’abus de l’esprit, après en avoir d’abord favorisé le goût. Fénelon craint le bel esprit chez les femmes, et surtout l’application du bel esprit à la théologie. « J’aime bien mieux, dit-il, que votre fille soit instruite des comptes de votre maître d’hôtel que des disputes des théologiens sur la grâce… Tout est perdu si elle s’entête du bel esprit et si elle se dégoûte des soins domestiques[3]. »

Quelle est donc l’éducation que le XVIIe siècle voulait donner aux femmes ? Une éducation conforme à leur vocation dans la vie. Or quelle est cette vocation ? quels sont les emplois de la femme dans

  1. Education des Filles, ch. II.
  2. Mémoires de Mme Lafarge, t. Ier, p. 154.
  3. Fénelon, Lettre à une dame de qualité sur l’éducation de sa fille.