Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/421

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’éducation qu’une bonne mère donne à sa fille en la gardant auprès d’elle vaut mieux que l’éducation des meilleurs couvens. « J’estime fort l’éducation des bons couvens, dit Fénelon ; mais je compte encore plus sur celle d’une bonne mère, quand elle est libre de s’y appliquer… Si un couvent n’est pas régulier, dit-il encore, les filles y verront la vanité en honneur, ce qui est le plus subtil de tous les poisons pour une jeune personne ; elles y entendront parler du monde comme d’une espèce d’enchantement, et rien ne fait une plus pernicieuse impression que cette image trompeuse du siècle qu’on regarde de loin avec admiration, et qui en exagère les plaisirs sans en montrer au contraire les mécomptes et les amertumes… Si au contraire un couvent est dans la ferveur et dans la régularité de son institut, une jeune fille de condition y croît dans une profonde ignorance du siècle. C’est sans doute une heureuse ignorance, si elle doit durer toujours ; mais si cette fille sort de ce couvent et passe à un certain âge dans la maison paternelle où le monde aborde, rien n’est plus à craindre que cette surprise et ce grand ébranlement d’une imagination vive… Elle sort du couvent comme une personne qu’on aurait nourrie dans les ténèbres d’une profonde caverne et qu’on ferait passer tout d’un coup au grand jour. Rien n’est plus éblouissant que ce passage imprévu et que cet éclat auquel on n’a jamais été accoutumé. Il vaut beaucoup mieux qu’une fille s’habitue peu à peu au monde auprès d’une mère pieuse et discrète, qui ne lui en montre que ce qu’il lui convient d’en voir, qui lui en découvre les défauts dans les occasions, et qui lui donne l’exemple de n’en user qu’avec modération pour le seul besoin[1]. »

Cette idée, — qu’il est nécessaire d’élever les filles pour la famille et non pour le couvent, — est l’idée qui a présidé à la fondation de Saint-Cyr. Mme de Maintenon et Louis XIV surtout, « qui ne voulait pas souffrir de nouveaux établissemens, » c’est-à-dire la fondation de nouveaux couvens[2], évitèrent avec grand soin dans les commencemens tout ce qui pouvait donner à Saint-Cyr l’air et le caractère d’un couvent. Ainsi point de vœux absolus, « de peur qu’une communauté engagée par des vœux solennels et complètement séquestrée du monde ne donnât aux demoiselles des manières et une éducation religieuses. » Le père de La Chaise était du même avis. « Des jeunes filles, disait-il, seront mieux élevées par des personnes tenant au monde. L’objet de la fondation n’est pas de multiplier les couvens, qui se multiplient assez d’eux-mêmes, mais de donner à l’état des femmes bien élevées. Il y a assez de bonnes religieuses

  1. Lettre à une dame de qualité sur l’éducation de sa fille.
  2. Voir, p. 32, Lettres de Mme de Maintenon, éd. Lavallée.