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l’explosion qui le menaçait ; elle eut lieu avec une énergie inaccoutumée au moment où, la main placée sur ses appareils, il observait attentivement la réaction. Il y perdit un œil et deux doigts de la main droite. Il n’était pas homme à exploiter à son profit l’intérêt qui s’attache aux victimes de leurs imprudences scientifiques, mais il était de ceux qui n’en tiennent aucun compte. À peine guéri, il était prêt à s’exposer à de nouvelles mutilations, si M. Thénard n’avait, par des défenses formelles, imposé des limites à un dévouement qui n’était pas justifié.

Sa réputation comme chimiste était déjà établie et commençait à s’étendre. L’École polytechnique se l’attacha comme examinateur des élèves, et l’école vétérinaire d Al fort comme professeur de physique. Son sort était dès lors honorablement fixé dans le professorat, son bonheur intime était assuré par un mariage contracté en 1804, dans lequel il avait suivi les inspirations de son cœur, et sa vie s’écoulait paisiblement entre la culture des sciences et les joies de la famille, qu’il mit toujours au-dessus des satisfactions du monde, pour lesquelles il n’avait jamais eu que de l’éloignement. C’est au milieu de ces élémens de joies personnelles et de situation sociale qu’il forma avec Petit l’association dont nous avons longuement fait connaître les résultats, et qui ne cessa d’être un des charmes de sa vie qu’au moment où la mort de son ami la vint rompre. Dulong recueillit l’héritage d’une réputation acquise en commun et succéda à Petit dans ses fonctions de professeur à l’École polytechnique. Ce ne fut pas une consolation après une si grande perte.

Un nombre considérable de travaux accomplis avec conscience et activité valurent à Dulong les plus honorables récompenses. Il était membre de l’Académie des Sciences depuis 1823, et avait été choisi pour remplacer Cuvier comme secrétaire perpétuel ; il occupait une chaire à l’École polytechnique et une autre à la l’acuité des sciences, et il apportait dans ses diverses fonctions le soin, le zèle, la conscience qui étaient dans son caractère. Ses leçons, toujours soigneusement préparées, étaient méthodiques et nourries ; il n’avait ni la puissance ni l’entraînement de M. Thénard, ni la vive activité de Gay-Lussac, ni l’éloquence abondante de M. Biot. Il était clair et précis ; jamais on ne le voyait s’abandonner à l’inspiration ; il s’étudiait à purifier son langage, il parlait avec lenteur, choisissait ses expressions, et les attendait au besoin ; l’art de faite un cours se confondait chez Dulong avec celui de l’écrire, il négligeait l’action. Ce soin continuel de bien dire, les hésitations qui en résultaient, une gravité qui ne se démentait jamais, et surtout une apparence timide qui venait de la modestie et qu’on prenait pour de l’embarras, répandaient dans ses leçons une froideur qui se communiquait