Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/393

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour conséquence fâcheuse d’avoir démontré, par des preuves décisives, que la température n’a pas de signification théorique, que les thermomètres formés avec des substances différentes ne sont pas concordans, et de plus, que des augmentations égales de température ne résultent pas d’absorptions de quantités de chaleur égales. C’était avoir montré, aussi complètement que possible, que ces thermomètres étaient des instrumens très compliqués, très imparfaits, et dont on ne pouvait espérer aucun usage théorique.

Mais s’il était possible de rencontrer une classe de substances qui fussent exemptes des complications que nous venons de regretter, ce seraient elles qu’il faudrait évidemment choisir comme matière thermométrique ; car, si en accumulant successivement dans le thermomètre des quantités de chaleur égales, on produisait des dilatations successives égales, il serait permis, en mesurant les températures, de dire qu’elles expriment les proportions de chaleur que ce thermomètre reçoit. Les températures auraient alors une signification théorique, et, sans cesser d’avoir autant de valeur dans les applications, l’instrument que l’on aurait choisi serait apte à exprimer les lois de la chaleur. Or, suivant Dulong et Petit, ces substances existent : ce sont les gaz. Dès lors ils n’hésitent pas à abandonner le thermomètre a mercure et à le remplacer par un instrument fondé sur la dilatation des gaz, le thermomètre à air, moins commode, il est vrai, dans la pratique, mais incontestablement supérieur par sa sensibilité, sa comparabilité absolue, et aussi par la valeur théorique de ses indications.

J’ai voulu exposer, sans l’interrompre, cette longue série d’expériences difficiles et de raisonnemens précis ; je désirais en faire ressortir l’importance et l’enchaînement. Je dois maintenant m’arrêter un instant avant de poursuivre, et accomplir avec regret une tâche moins agréable, — celle de montrer qu’au moment même où ils passaient en revue les travaux de leurs devanciers pour les coordonner, Dulong et Petit laissaient subsister, et, ce qui est plus fâcheux, confirmaient par leurs propres mesures une de ces erreurs capitales qu’ils avaient pour but de détruire : tant il est vrai que les fausses doctrines, une fois introduites dans les sciences, opposent ensuite à leurs progrès des obstacles plus insurmontables que l’ignorance elle-même ! Gay-Lussac venait d’exécuter, sur la dilatation des gaz, un travail que l’on avait admiré ; il avait étudié séparément l’air, l’azote, l’acide carbonique et quelques autres fluides ; il n’avait reconnu aucune différence entre la quantité dont ces corps se dilatent. Il avait cru pouvoir généraliser ces résultats et énoncer comme loi physique absolue que la dilatation de tous les gaz est mathématiquement égale. Ceci, s’ajoutant à d’autres phénomènes observés avant lui, lit penser que les propriétés des gaz avaient cette