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C’est vers l’année 1815 que commença entre Dulong et Petit cette communauté scientifique qui devait avoir de si féconds résultats. Une occasion toute naturelle en fut la cause. Newton avait, dans ses opuscules, étudié, entre autres problèmes importans, celui du refroidissement que les corps éprouvent quand, après avoir été échauffés, ils sont librement suspendus et abandonnés à eux-mêmes dans l’air. Tout le monde comprend qu’ils exhalent peu à peu la chaleur qu’on y a accumulée, et qu’ils en perdent dans le même temps des proportions d’autant plus grandes qu’ils en contiennent davantage, c’est-à-dire qu’ils sont plus échauffés. Or Newton avait admis qu’un corps à 100 degrés perd deux fois plus de chaleur qu’à 50 et cent fois plus qu’au moment où sa température dépasse de 1 degré celle de l’air qui l’entoure, ou, pour accepter le langage ordinaire des sciences, que tout corps chaud perd des quantités de chaleur proportionnelles à l’élévation de sa température sur celle de l’enceinte.

Cette loi était d’une simplicité remarquable, elle avait une grande probabilité théorique, et bien qu’elle n’eût pas été pratiquement vérifiée par Newton, elle fut accueillie comme l’étaient toutes les opinions de ce grand génie. On l’admit de confiance, et quand on songea à la soumettre au contrôle de mesures précises, c’était plutôt avec l’intention de la justifier qu’avec la pensée de la combattre. Cependant les expériences se firent, et l’attente de ceux qui les avaient entreprises se trouva déçue ; la loi de Newton, à peu près exacte quand les corps sont peu chauds, cesse de représenter fidèlement le refroidissement des substances portées à une température élevée. Malgré ces enseignemens de l’expérience, on ne se résolut à renoncer à l’œuvre de Newton qu’après avoir épuisé tous les subterfuges. Un homme qui eut dans la science une grande autorité et qui la devait encore plus à son imagination qu’à la rigueur de ses recherches, Dalton, fut un de ceux que cette inexactitude de la loi de Newton embarrassa le plus ; mais, loin de la vouloir abandonner pour cette raison qu’elle était fausse, il chercha à modifier les principes des thermomètres pour la conserver. cette étrange méthode n’eut pas de succès : la loi de Newton, comme toutes les opinions inexactes, comme toutes les erreurs, tomba dans un complet discrédit après avoir provoqué plus de discussions pour la détruire qu’il n’aurait fallu d’expériences pour la corriger. Tout à coup, au moment où personne ne songeait plus à la défendre, cette loi reprit un intérêt inattendu : Fourier venait d’étudier mathématiquement la distribution de la chaleur dans les corps, et son travail, si justement célèbre, supposait précisément que la loi de Newton présidait au mouvement de la chaleur. C’était prendre pour principe un fait démontré faux, c’était bâtir une théorie mathématique sur une base qui manquait