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subordonne sans peine mon jugement à celui de M. Génin, avec la réserve pourtant de ne regarder que comme probable la détermination qu’il a faite. Ce qui est plus que probable, ce qui est désormais acquis à la critique, c’est qu’il faut chercher l’auteur du Patelin dans les soixante premières années du XVe siècle, et qu’à ce moment même il se rencontre un homme très capable de l’avoir composé, et dont certaines touches semblent faire reconnaître la main.

Rechercher la paternité d’un livre anonyme est parfois, on vient de le voir, fort difficile. Recherchée la paternité d’un mot souvent ne l’est pas moins. Aussi, en lisant les notes de M. Génin avec fruit (elles sont savantes), avec plaisir (elles sont spirituelles), me suis-je heurté contre des étymologies que je n’accepte pas. À la page 312, remarquant très justement qu’on a confondu à tort ébaubi avec ébahi, il tire le premier de balbus, bègue, ce qui est incontestable, et le second de hiare, demeurer bouche béante, ce qui l’est beaucoup moins. Les formes correspondantes dans les langues romanes sont : provençal esbaïr, italien sbaire et baire. C’est donc un mot composé de la préposition es et d’un simple baire. Dès lors il ne peut être question de hiare. Du reste, l’étymologie du mot est obscure, et je ne cherche pas ici à aller plus avant. M. Génin suppose que verve vient de ver. D’abord, les lois de la dérivation étymologique se prêtent peu à ce que le latin vermis, qui a donné ver, donne aussi verve ; mais sachant que, dans le français ancien, verve veut dire caprice, on en trouve l’origine dans le latin verva, tête de bélier, le bélier se trouvant au fond de la signification primitive de verve, comme la chèvre se trouve au fond de la signification de caprice. — Achoison (p. 255) ne me parait pas dériver de à et choir ; c’est simplement une autre forme de ochoison, qui est la transformation directement française du latin occasio, occasion étant une reprise faite de seconde main au latin. Le changement de l’o latin en a n’est pas rare, témoin dame de domina. Enfin je n’admets pas non plus que le futur j’irai soit une contraction de istrai (p. 247), venant du verbe issir, qui signifie sortir, et dont nous avons conservé issu. On trouve en provençal ir, et en italien ire, qui viennent du latin ire, et notre futur français n’a pas d’autre origine.

Je me méfie de moi quand je ne suis pas d’accord avec M. Génin ; je suis plus rassuré quand je marche côte à côte avec lui. Guillemette, la femme de Patelin, dit qu’elle se fait forte de… Or l’Académie déclare que, dans cette locution, fort est invariable, décision qui n’est pas conforme à l’usage de notre ancienne langue. M. Génin cite plusieurs exemples du XVe et du XVIe siècle, où fort est variable suivant le genre et le nombre. Est-elle plus conforme à la logique ? Non sans doute, car se faire fort de, c’est se porter assez