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croire que dans une farce, dans une pièce populaire par excellence, on s’avise d’évaluer les choses, non pas en monnaies courantes, mais en monnaies tombées en désuétude depuis près d’un siècle ? Comment les spectateurs devaient-ils savoir que cela rappelait justement le roi Jean ? Je ne puis, je l’avoue, passer par là-dessus ; je suis conduit à l’une ou à l’autre de ces deux alternatives : ou bien il y avait une vieille Farce, un vieux fabliau, composé sous le roi Jean, et usant par conséquent des monnaies de ce temps, lequel a été rajeuni dans le XVe siècle, sans qu’on ait changé les termes du marché entre Patelin et le drapier, ou bien l’opinion de Pasquier est véritable, à savoir que ces sous sont des sous parisis, dont 24 valent 30 sous tournois. Le drapier vend six aunes de drap à 24 sous l’aune, faisant à la fois, en deux évaluations différentes, 9 francs et G écus. Les l/i/i sous parisis vaudront, si Pasquier a raison, 180 sous tournois, ou 6 écus de 30 sous, ou 9 francs de 20 sous. De la sorte, en mon esprit, le témoignage, s’il n’est pas tout à fait écarté, est beaucoup atténué.

Néanmoins le second argument n’a, pour cela, rien perdu, Antoine de La Sale pouvant avoir remanié aussi bien que composé le Patelin et les Cent Nouvelles nouvelles, « Dans le Petit Jehan de Saintré et les Quinze joies du Mariage, dit M. Génin, il me parait impossible de méconnaître, même au premier coup d’œil, un air de famille et des analogies multipliées avec la farce de Patelin. Vous y retrouvez partout le poète dramatique dont l’habileté se complaît à filer une scène dans un dialogue rapide, empreint d’une certaine ironie douce et d’une naïveté satirique. C’est partout le même art, la même grâce dans la peinture des caractères ; partout l’auteur se cache pour laisser parler ses personnages. Le style a certaines allures, certaines habitudes, des reliefs si nettement accusés, qu’il ne peut se laisser confondre avec un autre. Vous le reconnaissez tout de suite à cette profusion de sermens, de proverbes, dictons, adages, métaphores familières et pittoresques, dont il est assaisonné, pour lesquels personne, si ce n’est peut-être Régnier, n’a montré depuis une égale affection. La forme de la phrase, les tours grammaticaux, ne permettent pas plus d’incertitude. » Et pour exemple, entre beaucoup, M. Génin cite le vers :

Qui me payast, je m’en allasse ;

nous dirions : « Qui me paierait, je m’en irais. » Mais cet accord des temps entre des membres de phrases subordonnés et cet emploi de l’imparfait du subjonctif au lieu du conditionnel sont plus anciens que Patelin. Et en somme, les tours que M. Génin cite me paraissent moins caractériser un auteur qu’appartenir en commun à une certaine époque. Quant à l’appréciation plus intime de la manière, je