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pareil gage j’eusse appelé au combat toute la chevalerie, quand pour un pareil gage on me verrait aller nu-pieds jusqu’au saint sépulcre ! Merci, mon doux enfant, merci ! Laisse que je t’embrasse, Hyacinthe, et reçois en échange ce riche bandeau !

« JUTTA. — Non, de par tous les saints ! je ne prendrai pas cette couronne, glorieux prix de votre adresse. C’est pour le coup, mon maître, que tous les archers se moqueraient de moi.

« OTHON. — Eh bien ! tu la déroberas à leurs yeux ; mais prends-la, je le veux. N’échauffe point de nouveau ma colère par ta résistance ; prends, ou je la jette dans le Rhin.

« JUTTA. — Non ! non ! Vous êtes fou, et je sens que la peur me talonne. (Elle s’enfuit et disparaît.)

« OTHON. — Prends-la donc, toi, vieux Rhin, et qu’elle orne les blanches tresses ! (Il jette la couronne dans le Rhin.)


Cependant le duc a enrôlé Othon parmi ses fauconniers. Quelques semaines après le jour du tir, Othon, son filet sur le dos, son sifflet d’argent pendu au cou, poursuit un matin sous les ombres du parc les bouvreuils et les chardonnerets, quand des pas furtifs glissent dans l’herbe humide ; un léger frémissement des branches trahit une présence aimée : c’est Elisabeth, échappée avant l’aube à sa couche inquiète, et qu’amène justement à cette place ce hasard bénévole, toujours ingénieux à rapprocher les cœurs épris. La scène qui résulte de cette entrevue, on la connaît d’avance : éternelle variation d’un motif qui ne vieillit pas. On se rappelle Roméo et Juliette dans les jardins de Vérone, Arnold et Mathilde sur les glaciers du Ruth ; c’est la même scène et la même chanson, avec cette différence qu’ici la musique me semble être de Weber, tant le romantisme s’exhale à vives bouffées de ce gracieux épisode qui se joue en pleine nature, entre le daim matinal épiant au loin le son du cor et le coucou des bois modulant sa complainte.

Soudain une voix lugubre et solennelle retentit dans les profondeurs de la forêt : « Faites pénitence, car le jour du jugement est proche ! » À cette morne alerte, les deux amans se séparent. Quel hôte sinistre vient ainsi jeter son appel discordant au milieu des harmonies d’une matinée de printemps ? Qui donc ose parler de pénitence au sein de cette nature qui prêche la joie et le bonheur de vivre par l’explosion de ses mille concerts ? Ce pèlerin à la longue-barbe, à la haute stature, courbée par l’âge et les épreuves, ce vieillard qui s’avance promenant comme Jérémie le deuil et les larmes sur ses pas, c’est le chancelier de Thuringe, c’est Henri de Hombourg, celui qui fut témoin du meurtre commis par le père sur son fils, et qui, en recueillant les derniers soupirs de la pauvre victime, lui jura de se rendre à Cologne et d’aller prier pour son âme sur le tombeau des trois rois : vœu sacré qu’il accomplit maintenant. Le