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en ligne directe le cours des traditions nationales, cherchant l’avenir dans le passé. Tandis que Goethe traduisait Voltaire et Diderot, tandis que Schiller, multipliant les essais de côté et d’autre, allait du drame bourgeois à la tragédie antique avec chœurs, d’Intrigue et Amour à la Fiancée de Messine, l’école nouvelle, à qui suffisait un seul enthousiasme, se contentait de retrouver Shakspeare, de le découvrir en quelque sorte. Ses recherches si actives sur les origines de l’art national y conduisaient tout droit. Toutefois il arriva à quelques-uns de s’arrêter, chemin faisant, autour des vieux maîtres du terroir, et sans tenir compte d’une imitation qui avait cherché ses modèles au-delà de Shakspeare, de prendre les copies d’Ayrer ou de Gryphius pour des originaux. Pour ma part, quand je vois inscrits en tête d’une pièce de ce temps ces trois mots, très souvent reproduits : nach altem Deutschen, c’est-à-dire, d’après une ancienne pièce allemande, je sais que penser de cette épigraphe, et que ce prétendu vieil allemand est tout bonnement du vieil anglais.

Arnim, à ce point de vue, doit beaucoup au répertoire publié dans les trois volumes de 1610, et très souvent ce sont les précurseurs de Shakspeare qui lui fournissent les emprunts qu’il croit faire à Gryphius. Je me hâte d’ajouter que ces emprunts, quels qu’ils soient, ne sauraient affecter qu’une partie du théâtre d’Arnim, la partie la moins littéraire sans doute, mais non la moins curieuse, et sur laquelle je reviendrai, celle des Possen ou farces romantiques dans le goût populaire, car pour ses grandes conceptions il ne relève que de Shakspeare et de l’histoire nationale. C’est par ce caractère que se recommande particulièrement une de ses créations les plus puissantes, l’Auerhahn (le Coq de bruyère), oiseau rare, dit-on, et sur la trace duquel on aimera sans doute à nous suivre, car on fera ainsi le tour du monde du poète.

Avant d’aborder le domaine de l’imagination, il faut cependant parcourir la chronique de Thuringe, et nous verrons mieux ensuite quel parti Arnim a su tirer des plus héroïques figures qui s’y rencontrent Louis II, né vers 1129, était encore sous la tutelle de sa mère lorsque l’empereur Konrad III sanctionna ses titres et sa dignité de landgrave de Thuringe. D’un naturel doux et clément, mais fort enclin au plaisir, Louis grandissait étranger à toute préoccupation politique, ne demandant qu’à s’amuser et à bien vivre. Or, pendant ce temps, que faisaient les seigneurs ses feudataires ? Ils opprimaient le pauvre peuple et l’écrasaient d’impôts. En vain de toutes parts s’élevaient les murmures, en vain les plaintes éclataient : ni les murmures, ni les plaintes n’arrivaient aux oreilles de Louis, qui, tantôt courant le monde à la recherche des aventures, tantôt endonjonné dans son château de la Wartbourg, ne savait rien des misères