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ensemble une nacelle sur la rivière de l’Oka, qui coule près de l’habitation. Jetés sur le bord opposé, ils se décident à aller demander secours à quelques bergers. Tout à coup ils rencontrent une jeune fille de leur âge qui, en les voyant, s’arrête interdite. Ils reconnaissent Dounia, fille d’un vieux pêcheur nommé Kondrati, qui venait de s’établir depuis peu sur les bords de l’étang. Les enfans lui racontent leur mésaventure ; Dounia les conduit vers son père, qui leur fournit des avirons, et ils regagnent la maison sans que Gleb se doute de leur escapade. À partir de ce jour, des relations assez fréquentes s’établissent entre Dounia et les deux enfans ; mais on touche déjà à la fin de l’été, voilà plus de cinq mois que l’oncle Akime est dans la maison du pêcheur : l’ennui commence à le gagner, et malgré toute la crainte que Gleb lui inspire, il néglige les travaux dont on le charge pour se livrer, suivant son habitude, aux occupations les plus futiles. On le voit passer des heures entières à confectionner des jouets d’enfans ; il élève au milieu de la cour une huche à étourneaux très habilement faite. Le pêcheur perd patience ; il le tance sévèrement et lui signifie qu’il ait à vider les lieux ou à reprendre au plus tôt la rame et le filet. L’oncle Akime se sent profondément humilié : il trouve ces reproches injustes et cherche une autre place. La Providence lui épargne ce soin. Un jour qu’il tombait une neige glaciale mêlée de pluie, le pêcheur charge l’oncle Akime d’une commission pressante. Il s’agit de se rendre au village. Le pauvre Akime s’exécute ; mais il rentre au milieu de la nuit, mouillé jusqu’aux os, et se couche sur le four. La fièvre se déclare, et peu de jours après, au moment où tous les membres de la famille viennent de souper en commun dans l’isba, l’oncle Akime pousse un long gémissement.


« — Qu’as-tu ? lui demanda Gleb avec impatience.

« — Père, répond Akime d’une voix haletante, je sens… oh ! oui, je sens que la mort n’est pas loin. Ne me laissez pas mourir sans que j’aie mis ordre à ma conscience.

« Le pêcheur fit un signe de tête à Vassili, et celui-ci courut à Sasnovka chercher le prêtre. Il l’amena vers minuit dans un telega. Après avoir confessé le malade, le prêtre lui donna la communion, essaya de le consoler et repartit. Akime demeura pendant quelque temps plus tranquille, mais aux premières lueurs du jour ses gémissemens recommencèrent. On le porta sur le banc près des images, et toute la famille se rangea autour de lui. Personne ne pleurait, mais toutes les physionomies étaient recueillies, tous les regards étaient fixés avec une sorte de respect sur la figure pale et amaigrie, du moribond.

« — Que veux-tu ? lui demanda Anna en se baissant vers lui, les yeux mouillés de larmes.

« — Grich… Grichouchka, dit-il à demi-voix.

« Le pêcheur prit l’enfant et le plaça devant Akime. Celui-ci tourna vers