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littérature russe aux sources de son originalité primitive. Malheureusement, quoiqu’il eût étudié à fond nos grands écrivains, Karamsine ne sut pas se soustraire à l’influence de l’école mignarde et langoureuse représentée en France par Florian et Marmontel. Après lui, le fabuliste Krylof indiqua plutôt qu’il ne fraya complètement une voie nouvelle. Il fallait arriver à l’époque des guerres contre la France pour voir le réveil du patriotisme provoquer dans la littérature russe de sérieux efforts d’affranchissement.

Les années qui s’écoulèrent de 1808 à 1815 furent surtout fécondes en manifestations lyriques. Joukovski arracha vaillamment la muse nationale aux influences énervantes qui avaient si longtemps pesé sur elle. Des hymnes et des chants de guerre répandirent partout des inspirations viriles, et la rupture avec l’esprit du XVIIIe siècle fut accomplie. Notre plan n’est pas de retracer ici dans ses détails le mouvement littéraire qui s’est poursuivi en Russie depuis la guerre de 1812 jusqu’à nos jours. Nous ne voulons y saisir que l’épanouissement graduel du genre particulier de littérature dont relèvent les récits qui seront l’objet de cette étude. Nous laisserons donc de côté les nombreuses tentatives d’imitation provoquées par les romans de Walter Scott. Les paysans russes qu’on fait figurer dans ces tableaux historiques ne sont guère plus vrais que ceux qui nous apparaissent dans les histoires langoureuses du XVIIIe siècle. Les premiers sont calqués sur les montagnards écossais, comme les seconds l’étaient sur les héros de Florian. Dans cette mêlée littéraire, dominée par les puissantes créations de Pouchkine, nous ne nous attacherons qu’à un seul poète, qui marche indépendant et obscur dans la voie où Gogol entraînera plus tard les romanciers de son pays. Ce poète est un paysan nommé Slépouchkine. Son recueil contient une suite de tableaux où les mœurs de la campagne sont décrites avec une touchante simplicité. Qu’on en juge par cette page naïve intitulée l’Isba, que nous croyons devoir citer tout entière.


« Amis, je veux vous parler de la vie paisible du village : je vais vous dire comment une honnête famille passe sa vie dans les champs. La pauvre cabane qu’elle habite est entièrement couverte en chaume ; ses murs sont percés de deux fenêtres étroites ; tout y est simple. Près de la porte est une image devant laquelle brûle, suivant l’usage, une bougie de cire jaune ; plus loin, une grande table de chêne, ordinairement dégarnie, à moins qu’il ne s’y trouve un puisoir en érable, rempli de bonne bière. Le long du mur règne un banc de bois ; quelques tabourets complètent l’ameublement. Les pelisses sont suspendues en bon ordre, et les pots entourés d’écorces qui remplissent les étagères sont propres et bien tenus. Dans le coin est un grand four : c’est là qu’en hiver, après le travail, toute la famille passe la nuit et dort comme dans le meilleur lit. Un enfant repose paisiblement dans son