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semble celui d’une Messaline vieillie dans le vice. Oui, il faut voir aussi ce César-là, qui est le César de Suétone, pour avoir une idée complète de la créature la plus intelligente, la plus corrompue et la plus athée qui fut jamais.

Il y a aussi au Capitole un buste d’Alexandre divinisé. Quelle différence entre lui et César ! Quelle noblesse ! quel élan ! Ce regard, au lieu de se fixer sur la terre, se tourne vers le ciel et se perd dans l’infini. On sent que cet homme est capable de crimes et de vertus, de vraie passion et de vraie magnanimité ; il tuera Clitus, mais il le pleurera ; César n’eût ni tué ni pleuré son ami. Qui fut l’ami de César ? Alexandre aimait la gloire pour elle-même, César la voulait surtout pour arriver à la puissance. César a possédé au plus haut degré l’intelligence, qui est la moitié de l’homme ; Alexandre avait reçu le don de l’enthousiasme, qui fait les demi-dieux.

César est mort, Octave va venir s’emparer de son héritage. Du reste tout préparait l’empire. César faisait pour s’en rapprocher ce qu’avait fait aussi Pompée et ce que firent après eux les empereurs : il bâtissait des monumens publics, magnifique captation du peuple. Pompée avait élevé le premier théâtre qu’ait vu Rome, et qu’oïl appelait théâtre de marbre, tant le marbre, luxe nouveau des dernières années de la république, et qui sera le luxe de l’empire, y était prodigué. Derrière son théâtre, Pompée avait fait construire un portique à quatre rangs de colonnes auxquelles de riches tentures étaient suspendues, et qui s’élevaient parmi des arbres et des fontaines. Il y avait joint un autre portique nommé les Cent colonnes ; César donna un nouveau forum au peuple romain, comme firent depuis Auguste, Domitien et Trajan. L’achat du terrain lui avait coûté 2 millions et demi (10 millions de sesterces), et il en dépensa en constructions plus de 60. Dans ce forum, il éleva un temple à son aïeule Vénus, dont il était un digne descendant, sans doute pour rappeler aux Romains la grandeur de son origine, et les préparer à accepter un roi du sang des dieux. Un jour on le vit, assis devant ce temple, recevoir, sans se lever, les hommages du sénat. Au centre du Forum était une statue équestre d’Alexandre, œuvre de Lysippe, César fit remplacer la tête du Macédonien par la sienne ; ceci encore est déjà une pratique de l’empire. Il plaça dans son forum, avec le sans-gêne cynique d’un souverain qui honore publiquement les objets, quels qu’ils soient, de ses goûts, le portrait de sa maîtresse Cléopâtre, et celui de son cheval favori, lequel avait, dit-on, des pieds pareils à ceux d’un homme, ce qui faisait, ce me semble, un assez mauvais cheval. Caligula devait aller plus loin et songer à créer le sien consul ; mais on était sur le chemin.