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chose, le discernement sûr, le coup d’œil infaillible, et aussi l’absence d’émotion, l’indifférence absolue au bien et au mal, à la colère et à la pitié ! Sans doute la politique de César ne fut pas cruelle, et, il faut le dire, celle de Pompée ne le fut pas davantage ; mais les atrocités de César dans les Gaules révoltèrent même le sénat romain. Ces atrocités ne lui coûtaient pas plus que la clémence. Je crois qu’il entrait dans celle-ci, avec une mansuétude naturelle, un peu de calcul, car la clémence peut être utile, et beaucoup de ce dédain paisible pour l’humanité, qui fait paraître magnanime parce qu’on ne daigne pas s’irriter de si haut. Lisez les Commentaires : c’est un style d’une netteté et d’une fermeté singulières, c’est le style de l’action ; mais ce style est sans image et sans passion. L’émotion est étrangère au langage de César comme à ses traits ; si elle naissait dans son âme, elle serait maîtrisée et contenue par une volonté supérieure. César a tout connu et ne croit à rien. Il est matérialiste, comme le prouve son discours au sujet des autres complices de Catilina, discours dont l’impiété scandalisa Caton. Doué d’ailleurs comme nul homme ne le fut jamais, il est grand général, grand administrateur, grand orateur, poète même, et, s’il lui plaît, il sera grammairien. Il fait ce qu’il veut de son génie. L’empire du monde étant à sa portée, il mettrait la main sur cet empire, n’était un petit homme pâle dont le buste est aussi au Capitole. Ce buste de Brutus est excellent : le visage est maigre, les joues sont creuses ; c’est bien le Brutus de l’histoire, moins tendre et moins scrupuleux que ne l’a fait Shakspeare, mais agité avant l’action, incertain après. Il y a dans la bouche une grande énergie, et le regard est inquiet. Ce n’est pas la farouche et inflexible résolution du premier Brutus, dont le buste n’est pas loin. Marcus Brutus doutera avant de frapper, et, vaincu à Philippes, il s’écriera : Vertu, tu n’es qu’un nom ! — l’autre Brutus n’eût pas dit cela.

Pour César, en présence du poignard, auquel il n’y a pas de réponse à faire, même pour le génie, il se voilera la tête et tombera sans plainte, sauf un mot peut-être, mais où je vois surtout l’expression de la surprise : « Et toi aussi, Brutus ! » — du reste impassible et indifférent à la vie et à la mort jusqu’au bout.

Si je descends de l’homme historique à l’homme privé, je trouve sur ce front chauve et dans cette physionomie blasée l’empreinte d’une vie de désordres effrénés, qui surpassa la licence ordinaire des mœurs romaines avant l’empire, et fit rougir même les contemporains de César. C’est surtout une tête voilée de César en grand pontife qu’il faut aller voir au Vatican. Il y a comme une ironie dans le contraste de ce costume sacerdotal et de ce visage flétri, ridé, qui