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acte ; au quatrième, l’air de ténor et surtout le beau duo entre Hélène et Henri ; enfin au cinquième, le boléro original où Mlle Cruvelli se fait justement applaudir, et quelques passages de la romance que chante Henri.

Si nous essayons maintenant de tirer de ces observations de détail une conclusion qui reste le bénéfice de l’esprit, il nous sera facile de signaler dans l’opéra des Vêpres siciliennes les deux qualités que nous avons toujours reconnues au talent de M. Verdi : le sentiment dramatique dans les situations violentes et une certaine tendresse élégiaque, c’est-à-dire les deux notes extrêmes du clavier de la passion. En cela, le compositeur italien est parfaitement de son temps, et surtout de l’école littéraire dont il s’est particulièrement inspiré. En effet, rien n’est plus commun de nos jours que ces brusques rapprochemens d’ombres épaisses et de lumières éclatantes, de masses chorales qui se heurtent dans un tutti puissant à côté d’une simple cantilène qu’on s’en vient soupirer sur des pipeaux rustiques. Les défauts qu’on peut reprocher à M. Verdi, et qu’il partage d’ailleurs avec un grand nombre d’artistes et de poètes, c’est l’absence d’un style soutenu qui procède sans violence, et sustente l’oreille dans les momens périlleux de la transition. La transition, qu’Horace et Boileau considéraient comme une des plus grandes difficultés de l’art d’écrire, la transition est pour le musicien d’une bien autre importance encore, car on peut affirmer qu’elle renferme tous les secrets de la composition. Ce discours limpide, sans cahots et sans dissonances extrêmes, qui circule librement tout le long d’un sujet donné, qui ne se soulève et qui ne s’apaise que pour exprimer les élans et les défaillances de l’âme, dont il prépare et fait pressentir les catastrophes ; ce langage des maîtres, où l’image et la modulation n’apparaissent que pour éclairer l’idée ou le sentiment, et non pour en usurper la place ; cette tessatura homogène selon l’expression des Italiens, cet empâtement lumineux qui caractérise le style des grands peintres comme celui des grands musiciens tels que Mozart, Weber et Rossini, manque complètement à M. Verdi, comme il mangue à M. Hugo, qui a exercé une si grande influence sur le compositeur italien.

M. Verdi n’a pas fait de bonnes études musicales, ses partitions sont là pour le prouver à ceux qui savent lire ; mais doué d’un tempérament vigoureux et tendre, d’un esprit impétueux et patient à la fois, il a acquis une certaine pratique de l’art d’écrire et de faire manœuvrer les masses chorales qui lui a valu les grands succès qu’il obtient en Italie depuis vingt ans. De beaux chœurs, des morceaux d’ensemble vigoureusement intrecciati, c’est-à-dire noués avec un instinct de progression ascendante qui lui est propre, un certain nombre d’idées mélodiques de courte haleine, mais colorées et ne manquant pas de quelque originalité, une instrumentation grossière, bruyante et vide, presque toujours disposée en deux corps de bataille qui ne se réunissent que rarement, les instrumens à cordes d’un côté, et les instrumens à vent de l’autre, — telles sont les qualités et tels sont aussi les défauts qu’on a pu remarquer dans Nabucco, dans I due Foscari, Ernani, Luisa Miller et dernièrement dans Il Trovatore, le meilleur ouvrage de M. Verdi avant les Vêpres siciliennes. On ne peut nier que le compositeur italien n’ait fait cette fois de louables efforts pour s’élever à cette égalité de style qui lui a toujours manqué jusqu’ici. En effet, l’opéra