Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/227

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dévore. Il est douteux que si Rossini lui apparaissait aujourd’hui, elle pût apprécier cet éclatant génie, qui ne s’occupe pas plus des folles théories politiques de Mazzini que s’il n’avait jamais existé, et qui chante purement et simplement les joies et les douleurs charmantes de la vie. Et, pour citer un autre exemple en faveur de la thèse que nous soutenons, est-il bien certain que l’Italie, dans les dispositions où elle se trouve, ait eu conscience de la femme supérieure qui s’est révélée à Paris depuis quelques mois ? La génération qui a pu élever M. Verdi au rang de compositeur de génie, en le comparant à Rossini, ne pouvait apprécier ce qu’il y a d’incomparable dans le talent de Mme Ristori. Quelle chasteté dans l’expression des sentimens les plus inouïs ! quels gestes à la fois contenus et énergiques ! quelle pantomime noblement aisée, et comme elle sait rendre cette lutte terrible qui s’établit dans son cœur de vierge entre la tendresse filiale et la passion incestueuse que lui souffle l’implacable Vénus ! Ah ! c’est là le vrai beau, c’est là l’idéal qui justifie les sévérités de la critique. Nous n’avions pas besoin de la présence de Mme Ristori pour reconnaître que Mlle Rachel, au temps même de ses plus beaux succès, ne possédait guère que deux accens, celui de la haine et de l’ironie, et qu’elle était dépourvue des dons les plus rares, de cette sensibilité profonde et variée que possède à un si haut degré l’artiste italienne. On ne remarque aucun procédé vulgaire dans le talent, de Mme Ristori ; l’étude disparaît sous la richesse de la nature ; les artifices du métier sont absorbés par le courant de l’inspiration. Ce n’est point là un modèle d’atelier élevé laborieusement par des professeurs émérites de déclamation ; c’est une gentil donna romaine qui a eu sous les yeux dès l’enfance les monumens des Phidias et des Praxitèle, et qui n’a eu qu’un léger effort de mémoire à faire pour ressaisir à travers les siècles les poses et le langage de ses ancêtres. Pour revenir à la musique, nous comparerions Mlle Rachel à une lyre qui n’a que deux seules cordes, la tonique et la dominante, tandis que Mme Ristori possède toute la gamme ! Ah ! s’il nous était donné d’entendre un jour une cantatrice aussi parfaite, nous n’aurions plus qu’à nous écrier : Nunc dimitis, Domine, quia viderunt ocuil mei salutare tuum.

Il est certain que c’est à l’intelligence, au goût, à l’attention sympathique du public parisien que Mme Ristori doit l’éclosion de ses grandes et belles qualités de tragédienne. L’artiste se plaît elle-même à reconnaître qu’elle n’était point en Italie, devant ces assemblées tumultueuses et distraites dont se plaignait déjà Alfieri, ce qu’elle s’est trouvée devant nos nouveaux Athéniens, dont l’opinion sera pour longtemps encore celle de l’Europe. Si le goût de la France a le droit de revendiquer sa part dans le succès du Comte Ory et de Guillaume Tell, qui marque la dernière évolution du génie de Rossini, il nous reste à voir quelle influence aura eue Paris sur le dernier opéra de M. Verdi, les Vêpres siciliennes.

L’ouverture commence par un léger frémissement des timbales et des pizzicati des contrebasses, qui marquent les linéamens d’un rhythme onduleux et, après quelques mesures d’introduction où domine un solo de clarinette dont léchant connu se retrouvera au premier acte, se présente une assez belle phrase confiée aux violoncelles, et qui s’arrête un instant sur une note culminante un peu trop à la manière des chanteurs. Reproduite une seconde